mercredi 16 avril 2014

De Watteau à Fragonard, les fêtes galantes

Le musée Jacquemart-André présente actuellement une exposition qui plaira aux inconditionnels du XVIIIe siècle aux tons roses et pastel. Bien entendu, et comme toujours dans ce lieu, très peu d’œuvres sont exposées dans des petites salles, tendues de tentures gris perle pour l'occasion. 

La première salle présente des tableaux de Watteau, ce peintre d'histoire de Valenciennes qui "lance" le genre de la fête galante au tout début du XVIIIe siècle. Formé par Claude Gillot et Claude Audran III aux décors d'arabesques, aux paysages imaginaires, aux scènes de genre et aux grotesques, Watteau s'épanouit dans la représentation de scènes bucoliques peuplées d'aristocrates, danseurs et musiciens s'adonnant aux jeux de l'amour. Son Pèlerinage à Cythère (non présent dans l'exposition mais analysé dans la vidéo d'introduction), qui constitue son morceau de réception, nous invite à une promenade en compagnie de jeunes gens se contant fleurette, accompagnés par des amours ailés, dans un paysage luxuriant. Inspiré par la Commedia dell'Arte, Watteau en représente volontiers les personnages. On pense bien sûr au Gilles du Louvre mais aussi au Pierrot content de Madrid. Sous des apparences légères et futiles, ses tableaux n'en reflètent pas moins une profonde ambiguïté entre rêve et réalité ainsi qu'une puissante mélancolie, écho d'un âge d'or enfui. 

Pèlerinage à Cythère Watteau fete galante
Watteau, Pèlerinage à Cythère, Musée du Louvre
Outre les tableaux, des dessins de Watteau sont exposés (un peu plus loin dans l'expo). Dessinateur génial, au crayon expressif et rapide, Watteau saisit la vie. Et il se constitue un large éventail de croquis dans lequel il n'hésite pas à puiser pour composer ses tableaux !

Vous vous en doutez, la fête galante est promise à un grand succès. Parmi les suiveurs de Watteau, les plus connus sont certainement Pater et Lancret qui ajoutent en sensualité ce qu'ils perdent en mystère et en subtilité. Et ne parlons pas de Jean-François de Troy, très réaliste, qui n'a pas grand sens de la nuance. Bref, les fêtes galantes se poursuivent mais sur un mode plus érotique et dénudé. Ils introduisent également le réel dans ces espaces oniriques : n'est-ce pas le genre idéal pour valoriser les danseurs et acteurs de la Régence ? Vous l'avez compris, j'aime moins cette évolution. Les scènes sont moins propices au rêve et à l'imaginaire, la mélancolie est aussi moins présente... 

On enchaîne alors avec les chinoiseries et les représentations de scènes bourgeoises. Je ne suis pas certaine que j'aurais choisi d'intégrer ces tableaux à l'exposition. Ils sont certes représentatifs des évolutions du goût au XVIIIe siècle et dérivent de la fête galante mais en font-ils encore partie ? La démonstration de la Pêche chinoise de Boucher ne me convainc pas. Et j'ai du mal à accoler ce terme aux pastorales de Boucher, qui n'ont plus grand chose d'onirique, de suggéré et de vaporeux. Ce sont certes les suites logiques des œuvres de Pater et Lancret mais je ne les qualifierais plus ainsi. Fragonard, qui vient clore l'exposition (et la démonstration) renoue avec la subtilité. Il se débarrasse des lignes de Boucher pour des mouvements plus souples et moins artificiels. C'est un peu le pendant solaire de Watteau, ses scènes traduisant une Arcadie qui ne semble pas si lointaine. Notons l'exposition d'une superbe (et gigantesque) toile prêtée par la Banque de France, La Fête à Saint-Cloud, qui pourrait presque être un décor de théâtre par sa taille. Fragonard y est virtuose dans l’exécution d'un paysage luxuriant et mystérieux, loin du monde des hommes, et la transmission du sentiment de bonheur serein qui traverse la toile. Touches vives mais comme esquissées et vaporeuses renouent avec le rêve.

Je suis un peu gênée par le titre de cette exposition et par la thèse de Christoph Vogtherr qui la parcourt. Pour moi, la fête galante, même si elle n'a pas de définition précise, concerne des œuvres de Watteau (et encore pas toutes) et de ses premiers suiveurs mais certainement pas toute la peinture rococo du XVIIIe siècle. J'ai l'impression qu'il souhaite ici beaucoup élargir le thème plutôt que d'envisager la fête galante et ses suites. Je regrette de ne pas avoir pu l'écouter présenter cette idée au Festival de l'Histoire de l'Art l'an dernier. Surtout que j'avais adoré son Voulez-vous triompher des belles ?. Bref, j'irai voir le catalogue de plus près, cela m'intrigue...
Par ailleurs, je salue l'effort qui a été réalisé pour la scéno, à la fois discrète et élégante, et pour la médiation (panneaux explicatifs riches). Le site internet de l'expo n'est pas mal du tout et permet de revoir les œuvres en détail (photos interdites dans l'expo). Je regrette simplement que la taille des salles du musée ne permettent pas de rendre réellement justice à La Fête à Saint-Cloud, un peu tassé ici.
L'ensemble est une belle façon de (re)découvrir l'art du XVIIIe siècle et l'apparente futilité des temps de la Régence et de Louis XV. Il y a un petit côté Marivaux dans tous ces tableaux. On complétera avec intérêt cette visite par un détour par les collections permanentes du musée qui conserve quelques Pater et Lancret et par le musée du Louvre qui expose les indispensables Pèlerinage à Cythère ou Les deux cousines.

2 commentaires:

  1. Moi qui ne suis plus un dangereux révolutionnaire (68 est bien loin) je ne m'empêche toujours pas de penser à ceux pour qui les "fêtes galantes" n'étaient pas pour eux, mais réservées à une toute petite aristocratie encore féodale, campée sur ses droits. Pour les autres les fêtes galantes étaient moins romantiques, un pt'tit coup vite fait pendant les moissons sur une meule de paille, quand il en avait...

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    1. Evidemment, les "fêtes galantes" ne concernent qu'une infime partie de la population, une aristocratie proche du roi. Mais c'est vrai de la majorité des objets d'arts, dédiés à une clientèle aisée.

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