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vendredi 17 décembre 2021

Profanes

Voilà un très joli roman de Jeanne Benameur ! Je crois que c'est celui que j'ai préféré jusqu'à présent. 

Octave Lassalle rassemble quatre personnes autour de lui, quatre personnes pour l'accompagner dans chaque journée. Il a 90 ans, il est retraité de son métier de chirurgien depuis longtemps, il a perdu sa fille et sa femme l'a quitté. Et pourtant, toutes deux habitent encore un peu cette grande maison. Alors pour ses dernières années, il réunit Hélène, une artiste, à qui il demande un portrait ; Béatrice, qui s'occupe des nuits en même temps qu'elle étudie ; Marc, qui jardine et partage les matins et Yolande, qui fera la cuisine. Chacun a sa clé, ses horaires et sa chambre - au cas où. Ils sont amenés à se croiser, mais fort peu. C'est Octave qui mène la danse. Et à son contact, pour chacun, d'étranges histoires remontent à la surface de leurs consciences. Des histoires de guerre en Afrique, des histoires de frère mort, des histoires d'amour, de pauvreté, de gène ou de liberté. Chacun apprend, se découvre ou se redécouvre. Octave aussi change, sa petite Claire est plus présente et les circonstances de sa mort, les pauvres souvenirs s'éveillent à nouveau. Tout ce qui était mort ou caché tend à se montrer, petit à petit. Tout s'ouvre, ça communique, c'est intime, infime et c'est pourtant là.

 
Que c'est beau cette écriture, cette narration fine, en ellipses.

 

"Dans le fond, il faudrait toujours acheter les journaux en retard, comme ça on se sentirait à l'abri des choses et on regarderait les "nouvelles" tranquillement même quand c'était des catastrophes"


"Il ouvre les yeux. Les étoiles au-dessus de sa tête sont mortes depuis longtemps. Pourtant, la beauté est là. Quand même. Bien sûr il y a un phénomène physique et des calculs précis qui permettent de savoir exactement comment la lumière se propage dans l'espace. Mais la beauté ? Ce que provoque en lui ce scintillement-là dans tout le noir, quel chiffre peut le mesurer ?"

 
"Il dit que la poésie aide au vif de la vie. Que les mots gardent vivant même quand on croit qu'on est déjà mort"

"Il se dit qu'œuvrer sauve de tout. Se concentrer totalement. Evacuer de sa tête de son cœur tout ce qui gène. Etre entièrement à ce qu'on fait. Et c'est tout. La belle expression. Oui, c'est vraiment "tout". Alors quelque chose s'ouvre. Une joie dans cette solitude. Et c'est ça qu'il a connu : cette joie-là, à nulle autre pareille, profonde, indicible [...] Les miracles prennent leur source dans la capacité à être totalement présent, il en est sûr"


"Quand je n'ai plus de refuge, je vais dans les mots. J'ai toujours trouvé un abri, là. Un abri creusé par d'autres, que je ne connaitrai jamais et qui ont œuvré pour d'autres qu'ils ne connaitront jamais. C'est rassurant, de penser ça"


"Ces moments ont existé. Ce bonheur qui a été vécu, rien ne peut faire qu'il ne l'ait pas été. Même la mort. La mort ne balaie rien. Le chagrin peut tout brouiller. Un temps. Comme à chaque fois que l'on est séparé de ceux qu'on aime. On se dit que plus jamais. Eh bien plus jamais, d'accord. N'empêche que ce qui a été est. A l'intérieur. Pour toujours"


"Est-ce qu’on peut perdre la faculté d’aimer tout près de soi ? Est-ce que pour faire son métier comme il le faisait, il fallait forcément que sa capacité d’amour se diffracte ? Est-ce que c’était pareil pour ceux que la fameuse foi en dieu faisait entrer en vocation ? Où loger ensuite l’amour des siens ? Comment réduire l’amour à une compagne, à une famille ? Sa famille, la vraie, c'était tous ceux qui se présentaient devant lui, ceux à qui il avait juré de porter assistance, quoi qu'il en coute"



lundi 11 décembre 2017

L'enfant qui

Deuxième rencontre avec Jeanne Benameur. C'est poétique, c'est forestier, c'est polyphonique, c'est mystérieux, c'est un peu court...

Dans ce roman, nous suivons trois rescapés. Trois personnes qui tentent de survivre au départ (ou à la mort, on ne sait pas vraiment) d'une femme. Une femme qui était entrée dans la vie du père par la lecture des lignes de sa main et sa démarche libre dans sa jupe mouvante. Une femme accueillie dans la maison familiale par la mère du père. Une femme devenue mère d'un petit être rêveur, libre, qui explore les bois avec un chien invisible aux yeux des autres. 

Tous les trois, mais surtout l'enfant, souffrent de ce départ. Et un matin, chacun de son côté va vivre une expérience singulière pour continuer à vivre sans elle, un rite presque initiatique, qui fait remonter souvenirs et sensations perdus.

Une femme qui se dessine en creux, que l'on devine mais qui nous reste aussi insaisissable que sa langue. Et une narratrice, présente près de l'enfant, discrète mais qui s'épanouit aux dernières pages. Une lecture que j'ai trouvé belle de son écriture et de ses non-dits même si parfois trop vague et floue.

mercredi 4 janvier 2017

Otages intimes

Premier billet de l'année qui me permet de vous souhaiter le meilleur pour 2017 ! 

Première rencontre avec Jeanne Benameur... et certainement pas la dernière. Merci Noukette d'avoir tant parlé de cette auteur et de m'avoir donné envie de découvrir ses œuvres.

Etienne est photographe de guerre. Il a été pris en otage et l'on vient de le libérer. "Je rentre", tout son être tient dans cette phrase. Etienne n'en sort pas. Pour ne pas être déçu. Car tout peut encore changer.

Avec sa libération, d'autres forces se mettent en branle. Irène, sa mère, qui va le recueillir. Enzo, son ami, qui se prépare à l'accompagner. Emma, l'amante, qui ne sait pas bien où est sa place. Jofranka, l'amie, qui fait témoigner les femmes à La Haye. De chacun d'entre eux, nous allons découvrir une part intime, secrète. Une vulnérabilité qui les rend uniques et humains. Mais c'est Etienne que l'on suit, la recherche de son humanité, sa recherche d'une place dans le monde... sa rage aussi. Comment réapprendre à vivre ? Comment se reconstruire ?

Malgré une écriture parfois rapide, condensée, aux phrases courtes, c'est un roman que j'ai lu lentement. Il fallait du temps avec Etienne, avec les différents personnages pour les accompagner dans leur quête de soi. Du temps pour saisir la petite musique du roman, jouée par nos héros. Un temps qui semble parfois un peu long, mais toujours trop court pour percer la part d'otage de chacun.

Moore, warrior with a shield, 1952