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lundi 21 janvier 2019

La méthode de l'égalité

J'ai découvert Rancière avec Le maître ignorant et avec une amie qui l'a beaucoup lu. Intriguée par cette longue conversation du philosophe avec Laurent Jeanpierre et Dork Zabunyan, j'ai pu découvrir par cette lecture un peu plus de la philosophie de Rancière et notamment sa conception de l'égalité, ses études sur la parole ouvrière, sa conception des scènes et de l'événement. Je vous avoue que je n'ai pas toujours tout compris, les références me manquaient, surtout quand il s'agissait d'Althusser ou des questions politiques des années 70. L'ouvrage se scinde en 4 parties : Genèses pour ce qui est de la formation du philosophe, Lignes pour éclairer les questions de sa pensées, Seuils pour la confronter à d'autres et Présents pour questionner le lien à l'actualité. 
Ce billet sera donc surtout une suite de citations plus qu'un résumé ou un avis.


"Ma question est quand même toujours : "Qu'est-ce qu'on peut percevoir, qu'est-ce qui permet de voir telle chose, qu'est-ce qui fait que tel mot, telle phrase prennent sens, acquièrent une valeur symbolique, d'assignation ou d'émancipation ?" C'est lié au fait que j'ai un peu toujours travaillé sur les marges, en récoltant éventuellement des bribes, des chutes, avec l'idée que ce qui définit les conditions de la pensée et de l'écriture n'est jamais le temps et la situation tels que les décrit le discours dominant. Il y a une texture sensible de l'expérience qui est à retrouver et qu'on ne peut retrouver qu'en éliminant entièrement les hiérarchies entre les niveaux de savoir, du politique, du social, de l'intellectuel, du populaire"

"Pour moi la seule méthode qui vaille c'est de savoir si une parole fait tout à coup poids, résonance par rapport à une autre, si elle établit un réseau par rapport à une autre [...] Car c'est là le problème fondamental : déterminer un commun de la pensée"

"Il y a des philosophes que j'ai connus et dont je peux dire qu'ils m'ont influencé à un certain moment [...] Sartre, c'est l'écart par rapport aux explications psychologiques et sociologiques ; Althusser, une certaine remise en question de l'idée d'histoire, une certaine idée de la multiplicité des temps à laquelle, en un sens, j'ai le sentiment d'avoir été plus fidèle qu'Althusser lui-même. Foucault, une attitude consistant à se demander non plus ce qu'il fallait penser, ou sur quoi reposait la pensée, mais ce qui faisait que telle chose était pensable, que tel énoncé était formulable. J'ai retenu de lui l'idée que ce qui est intéressant c'est la pensée à l’œuvre dans des pratiques, dans les institutions, la pensée qui participe au paysage de ce qui est. Et j'ai aussi retenu une certaine disjonction entre ce que on appelle théorie et pratique [...] Tout ce qui a pu être chez moi l'attention à la façon dont les événements sont d'abord des transformations de ce qui est perçu et de ce qui est pensable, cela me vient de la littérature [...] Je pense être quelqu'un qui a eu 20, 30 ou 100 maîtres et non pas un maître [...] Au fond, est maître tout ce qui nous provoque, et aussi éventuellement tout ce qui vous souffle des réponses par rapport à la provocation"

"La norme, c'est que les gens restent à leur place et que ça continue toujours pareil. Tout ce qui fait date dans l'histoire de l'humanité fonctionne malgré tout sur le principe qu'il arrive quelque chose, que des gens se mettent à parler. Je travaille à partir de ceux qui parlent [...] C'est une stratégie aussi bien des chefs politiciens que des historiens et sociologues, de dire que la parole qui compte, c'est la parole des gens qui ne parlent pas. Je suis parti du fait que s'il arrive quelque chose, c'est par exception, et qu'on s'occupe de l'exception"

Ouvrage passionnant quoi qu'ardu lorsque l'on n'est pas familier du philosophe, il semble être un résumé de sa pensée mais aussi une introduction à ses écrits. A poursuivre, donc !

mercredi 2 août 2017

Le maitre ignorant, cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle

Mes dernières lectures ont plutôt été assez spécialisées. Je m'en excuse d'avance auprès de mes lecteurs, qui attendent peut-être plus de détente avec les beaux jours. 

Jacques Rancière propose avec cet ouvrage la mise en lumière de Joseph Jacotot, qui postule l'égalité des intelligences. 

En 1818, Joseph Jacotot enseigne à l'université de Louvain. Il utilise le Télémaque de Fénelon pour enseigner le français. Comme il ne connait pas le flamand, il ne peut rien expliquer. Il se contente de donner des parties du livre, en version bilingue, à lire aux élèves. Eux doivent résumer ce qu'ils comprennent. Et ils comprennent et écrivent un bien joli français. Voilà qui étonne ! Le maître n'a donc plus besoin d'aider l'élève à comprendre et de mettre une distance entre comprendre et apprendre. C'est au contraire une méthode pour abrutir les hommes... Et de développer cette théorie et ses conséquences politiques.

Une lecture intéressante mais sur laquelle je n'ai que peu à dire. Je n'ai aucune idée de comment fonctionne le processus d'apprentissage et la justesse de l'analyse m'est difficile à analyser. Je vous laisse avec des extraits. N'hésitez pas, pour ceux qui en savent plus, à me laisser vos avis/idées ci-dessous.
"Il faut dire plus précisément qu'il divise l'intelligence en deux. Il y a, dit-il, une intelligence inférieure et une intelligence supérieure. La première enregistre au hasard des perceptions, retient, interprète et répète empiriquement, dans le cercle étroit des habitudes et des besoins. C'est l'intelligence du petit enfant et de l'homme du peuple. La seconde connaît les choses par les raisons, elle procède par méthode, du simple au complexe, de la partie au tout. C'est elle qui permet au maître de transmettre ses connaissances en les adaptant aux capacités intellectuelles de l'élève et de vérifier que l'élève a bien compris ce qu'il a appris. Tel est le principe de l'explication. Tel sera désormais pour Jacotot le principe de l'abrutissement."
"Mais aussi l’intelligence qui leur avait fait apprendre le français dans Télémaque était la même par laquelle ils avaient appris la langue maternelle : en observant et en retenant, en répétant et en vérifiant, en rapportant ce qu’ils cherchaient à connaître à ce qu’ils connaissaient déjà, en faisant et en réfléchissant à ce qu’ils avaient fait. Ils étaient allés comme on ne doit pas aller, comme vont les enfants, à l’aveuglette, à la devinette. Et la question se posait alors : est-ce qu’il ne fallait pas renverser l’ordre admis des valeurs intellectuelles ? Est-ce que cette méthode honnie de la devinette n’était pas le vrai mouvement de l’intelligence humaine qui prend possession de son propre pouvoir ? Est-ce que sa proscription ne signait pas d’abord la volonté de couper en deux le monde de l’intelligence ? "
"Elle était une autre voie, celle de la liberté, cette voie que Jacotot avait expérimentée dans les armées de l’an II, la fabrication des poudres ou l’installation de l’École polytechnique : la voie de la liberté répondant à l’urgence de son péril, mais aussi bien celle de la confiance en la capacité intellectuelle de tout être humain."
"L’expérience lui sembla suffisante pour l’éclairer : on peut enseigner ce qu’on ignore si l’on émancipe l’élève, c’est-à-dire si on le contraint à user de sa propre intelligence. Maître est celui qui enferme une intelligence dans le cercle arbitraire d’où elle ne sortira qu’à se rendre à elle-même nécessaire. Pour émanciper un ignorant, il faut et il suffit d’être soi-même émancipé, c’est-à-dire conscient du véritable pouvoir de l’esprit humain."
"La méthode socratique de l'interrogation qui prétend conduire l'élève à son propre savoir est en fait celle d'un maître de manège : "il commande les évolutions, les marches et les contremarches. Quant à lui, il a le repos et la dignité du commandement pendant le manège de l'esprit qu'il dirige. De détours en détours, l'esprit arrive à un but qu'il n'avait même pas entrevu au moment du départ. Il s'étonne de le toucher, il se retourne, il aperçoit son guide, l'étonnement change en admiration et cette admiration l'abrutit. L'élève sent que, seul et abandonné à lui-même, il n'eût pas suivi cette route""
"La déraison sociale trouve sa formule ramassée dans ce qu'on pourrait appeler le paradoxe des inférieurs supérieurs : chacun y est soumis à celui qu'il se représente comme inférieur, soumis à la loi de la masse par sa prétention même à s'en distinguer."