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lundi 28 novembre 2022

L'inespérée

Un petit Bobin, à nouveau, pour continuer à se régaler de le lire et de le découvrir. Quelques textes, courts, autant d'instants saisis par l'écriture. On y croise des femmes, des arbres, une télé, du repos, des conférences, de la lumière, des joies et des peines, toute la beauté simple de la vie. Coup de cœur pour la première nouvelle, qui est une lettre à la lumière.  



"Vous alliez partout dans la même seconde, comme une enfant riante. Vous étiez l'image d'une vie détachée de soi, prodigue d'elle-même et parfaitement nonchalante quant à ses lendemains. Pendant que les enfants, dans leur école, recevaient une leçon de musique, je recevais de vous une leçon de bonté : c'est à votre image que j'aimerais aller dans la poignée de jours qui m'est donnée, madame, c'est avec votre gaieté et votre amour insoucieux de se perdre.

Nous ne cherchons tous qu'une seule chose dans cette vie : être comblés par elle – recevoir le baiser d'une lumière sur notre cœur gris, connaître la douceur d'un amour sans déclin. Être vivant c'est être vu, entrer dans la lumière d'un regard aimant : personne n'échappe à cette loi, pas même Dieu qui est, par principe, parce qu'il est le principe supposé de tout, hors la loi. La Bible n'est que l'inventaire des efforts insensés de Dieu pour être entrevu de nous, ne fût-ce qu'une seconde, ne fût-ce que d'un seul homme et cet homme fût-il un bon à rien ou un gardien de chèvres abruti de solitude et de mauvais vin. Tout y passe. Tout est bon à Dieu pour attirer notre attention sur lui, de la grande machinerie des déluges et des orages avec leur vacarme de fer-blanc, jusqu'aux gémissements à peine audibles d'un nouveau-né couché sur la paille, bercé par la respiration besogneuse d'un âne et d'un bœuf."

 

"La vérité, on ne peut l'avoir, seulement la vivre. La vérité c'est vous, madame : de la lumière qui vient, de la lumière qui passe"

"L'intelligence est la force, solitaire, d'extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi"

"Ce n'est pas l'encre qui fait l'écriture, c'est la voix, la vérité solitaire de la voix, l'hémorragie de vérité au ventre de la voix. Est écrivain toute personne qui ne suit que la vérité de ce qu'elle est, sans jamais s'appuyer sur autre chose que la misère et la solitude de la vérité."
"Nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et rien d'autre"

"L'arbre est devant la maison, un géant dans la lumière d'automne. Vous êtes dans la maison, près de la fenêtre, vous lui tournez le dos. Vous ne vous retournez pas pour vérifier s'il est bien toujours là – on ne sait jamais avec ceux qu'on aime : vous négligez de les regarder un instant, et l'instant suivant ils ont disparu ou se sont assombris. Même les arbres ont leurs fugues, leurs humeurs infidèles. Mais celui-là, vous êtes sûr de lui, sûr de sa présence éclairante. Cet arbre est depuis peu de vos amis. Vous reconnaissez vos amis à ce qu'ils ne vous empêchent pas d'être seul, à ce qu'ils éclairent votre solitude sans l'interrompre."

 

"Un peintre c'est quelqu'un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec de la lumière, avec un chiffon de lumière imbibé de silence"

"Pour la gloire d'être aimé. Cette réponse, toujours l'avez entendue. Elle vaudrait pour les livres comme pour le reste, et ce serait pour cela qu'on fait tout ce qu'on fait - de l'argent, des enfants ou des livres : pour que l'argent, les enfants ou les livres ramènent sur vous l'amour qui manque. Parents qui mendient à leurs enfants une force pour vivre. Ecrivains qui réclament à voix d'encre le baiser d'une lumière. Oui cette réponse toujours vous l’avez entendue, et toujours elle vous a paru fausse, ou bien d’une vérité infirme, bonne pour les mauvais parents, bonne pour les mauvais écrivains. On ne peut rien faire pour être aimé – ou alors seulement de mauvaises choses, des livres ratés, des enfants inachevés. L’amour n’est pas mesurable à ce qu’on fait. L’amour vient sans raison, sans mesure, et il repart de même."

"L'enfer c'est cette vie quand nous ne l'aimons plus. Une vie sans amour est une vie abandonnée, bien plus abandonnée qu'un mort"

lundi 7 novembre 2022

Cahier de verdure suivi de Après beaucoup d'années

Découverte de Philippe Jaccottet avec ce recueil de la biblio. De la nature, dite par des images différentes, picturales, dont certaines m'ont beaucoup parlé. Je crois avoir préféré les passages en prose, la présence du poète dans le paysage, ou plutôt son regard et les mots qu'il choisit. Quelques extraits :


Le cerisier
"Je pense quelquefois que si j'écris encore, c'est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d'une joie dont on serait tenté de croire qu'elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous. Qu'un peu de cette poussière s'allume dans un regard, c'est sans doute ce qui nous trouble, nous enchante ou nous égare le plus; mais c'est, tout bien réfléchi, moins étrange que de surprendre son éclat, ou le reflet de cet éclat fragmenté, dans la nature. Du moins ces reflets auront-ils été pour moi l'origine de bien des rêveries, pas toujours absolument infertiles [...] J'avais toujours aimé les feux dans les jardins, dans les champs : c'est à la fois de la lumière et de la chaleur, mais aussi, parce que cela bouge, se démène et mord, une espèce de bête sauvage ; et, plus profondément, et plus inexplicablement, une sorte d'ouverture dans la terre, une trouée dans les barrières de l'espace, une chose difficile à suivre où elle semble vouloir vous mener, comme si la flamme n'était plus tout à fait de ce monde : dérobée, rétive, et par là même source de joie."


Blason vert et blanc
"j'en viens à me demander si la chose "la plus belle", ressentie instinctivement comme telle, n'est pas la chose la plus proche du secret de ce monde, la traduction la plus fidèle du message qu'on croirait parfois lancé dans l'air jusqu'à nous ; ou, si l'on veut, l'ouverture la plus juste sur ce qui ne peut être saisi autrement, sur cette sorte d'espace où l'on ne peut entrer mais qu'elle dévoile un instant. Si ce n'était pas quelque chose comme cela, nous serions bien fous de nous y laisser prendre"


Sur les degrés montants
"On aurait pu imaginer ainsi une cohorte d'anges cherchant à soulever le couvercle énorme de la nuit, au-dessus des hautes herbes fouettées, cinglées par le vent glacé.
La porte s'ouvrirait-elle jamais ? Ce ne serait pas, en tout cas, faute d'avoir crié leur appel au jour. [...]
Qui a jamais crié ainsi pour forcer le jour ? [...]
Comme la montagne dans ce moment de ténèbres et de froid intense, j'attendais d'être illuminé, de me dresser hors du sarcophage de rocher comme Lazare, tandis que le vent tout autour hersait l’herbe.
J'étais mort comme lui et rien ne se passait que les coups de boutoir du vent, les coups de cravache du froid,
s'il n'y avait eu soudain cette troupe d'oiseaux absolument invisibles et réduits au fusées de leurs cris infatigables ;
et comme ils montaient toujours plus haut sur les degrés noirs, on aurait dit qu'ils s'activaient à soulever la dalle noire de la tombe
ou qu'ils frappaient à une porte, tous ensemble,
comme de petits anges effrénés, de petits ouvriers acharnés, sans autres outils que leur voix aigue (jubilante ou désespérée, on n'aurait su le dire),
à soulever cette dalle noire,
à frapper à cette porte qui semblait ne jamais devoir tourner sur ses gonds de pierre.
Qui frapperait avec pareille constance et fureur dans la montagne
ne ferait-il pas lui aussi lever le jour ?"

Apparition des fleurs
"Ce bleu était comme du ciel ; et là, dans la prairie, c'était du ciel épars, qui aurait plu pendant la nuit, une rosée, des morceaux d'air dans l'herbe. (J'aurais pu être tenté d'écrire aussi : des papillons ; ou des regards. Mais non.) C'étaient de presque inapparents morceaux de ciel, disséminés au hasard"



lundi 31 octobre 2022

Ainsi soit-elle

Voilà des années que cet ouvrage de Benoîte Groult m'a été conseillé alors que je finissais le Deuxième sexe. J'en sors moins emballée que du bouquin de Simone mais j'ai tout de même été scandalisée par quelques trucs ! Ce n'est pas tout à fait le même ton, Benoîte sait être ironique et percutante, elle amène des exemples qui font froid dans le dos, elle est plus "humaine" dans son approche du sujet des inégalités hommes / femmes que Simone. Et parfois, elle s'emballe presque trop et sa lectrice en avait mal au cœur !


Mais l'ensemble reste très actuel, même plus de 50 ans après sa publication. Peut-être un peu moins en France, et encore, mais à l'international, aucun doute ! Considérer les femmes comme des êtres inférieurs, avec moins de droits (le témoignage de deux femmes valent celui d'un seul homme dans certains pays), une sexualité à brider (excision) et une maternité due (en France aussi quand vous n'avez pas d'enfant et êtes mariée depuis longtemps), c'est malheureusement encore très courant. A travers les différents sujets et époques, Benoîte Groult met au jour ces inégalités, les agite, les explique et demande du changement. 

Elle s'intéresse à tous les secteurs, politique, bien sûr, mais aussi personnel, ménager, esthétique, psychologique ou sexuel. 

Quelques citations choisies, attention à la récolte :

"J'aurais continué à esquisser un humble sourire de remerciement, résignée au fait que les auteurs à seins ne soient lus que par des lecteurs à seins. Et si dans un sursaut d'amour-propre, tout en maintenant mon sourire aimable car une femme doit rester charmante, j'avais ajouté : "Parce que vous, bien sûr, les livres de femmes ne vous intéressent pas ?" les maris en question auraient souri avec courtoisie en s'excusant de n'avoir de temps que pour les choses sérieuses. Ils lisent bien sûr, ces hommes-là, mais des livres d'hommes, des livres normaux, quoi ! Évidemment, mes livres à moi parlent d'amour. C'est un sujet si féminin... quand il est traité par une femme. Mais quand c'est Flaubert qui décrit l'amour, cela devient un sujet humain. Il n'existe pas de sujet masculin pour la raison irréfutable que la littérature masculine c'est LA littérature ! Quant à la littérature féminine, elle est à LA littérature ce que la musique militaire est à LA musique."
"Qu'est-ce qui leur prend, soudain, aux femmes ? Voilà qu'elles se mettent toutes à écrire des livres. Qu'ont-elles donc à dire de si important ? demandait récemment un hebdomadaire qui ne s'était jamais posé la question de savoir pourquoi les hommes écrivaient, eux, depuis deux mille ans et ce qui leur restait encore à dire !"
"Laisser une femme lire les livres que son esprit la porte à choisir, mais c'est lui apprendre à se passer de vous" - c'est Balzac qui écrit ça !
"La médecine est déconseillée « parce qu'elle réclame un équilibre nerveux qui n’est pas l’apanage des femmes et oblige à supporter des spectacles pénibles ». En revanche, la profession d’infirmière ou de sage-femme, qui ne présente aucun spectacle pénible comme chacun sait et qui est très reposante pour les nerfs, est vivement recommandée"

lundi 10 octobre 2022

Je ne suis pas d'ici

Plongée dans André Dhôtel suite aux recommandations de Bobin, je ne sais plus trop où. J'ai retrouvé cette belle écriture allusive, ces histoires campagnardes, communes et pourtant imprégnées de mystère.

Damien et Norbert viennent du même village et on fait leurs études ensemble. Adultes, ils reviennent sur les terres familiales. Damien appartient à une famille de rêveurs, avec des landes et des friches, et pas beaucoup d'argent. Norbert est fils d'un propriétaire terrien gourmand des terres voisines. Alors quelle meilleure idée que de fiancer Alix, la sœur de Norbert, à Damien. Pris d'un accès incompréhensible, ce dernier en embrasse une autre. C'est le début d'une guerre entre les deux familles, amplifiée par des sabotages mystérieux. Et Damien semble se désintéresser de tout cela, rêver parmi les herbes... C'est ce flegme et cette paresse qui étonne le plus le narrateur.

Un joli roman, sur le rapport à l'autre, à la nature, en voyageur ou non.



lundi 3 octobre 2022

Rastenberg

Christiane Singer fait partie des autrices dont je continue d'explorer l'œuvre, en quête de pépites et des phrases chocs. Ce n'est pas toujours le cas et je ne crois pas que je retiendrai grand chose de ce roman d'un lieu. 

Avec la narratrice, nous découvrons une forteresse autrichienne et ses sombres couloirs, ses portraits de famille, ses armures et armes, ses vases dans lesquels quelques fleurs viennent donner de la vie. C'est un monument historique, où peuvent se balader des touristes et où l'on peut écrire. C'est un lieu d'imagination où des personnages oubliés reprennent vie sous la plume de Singer. Histoires d'amour, de passion brulante ou d'indifférence, elle ne fait pas dans la demi-mesure.

Une exploration sympathique. 


"Le plus souvent, héros de fausses odyssées, combattants de la fausse guerre, gagnants et perdants des faux enjeux, en route vers de faux pèlerinages, cet héroïsme qui nous habite, cette force créatrice, cet élan vital qui pourrait tout transmuer s'engouffrent dans les canaux de l'insignifiance et alimentent les bassins de l'illusion"

lundi 19 septembre 2022

Les cavaliers

Un dernier pavé, d'un auteur que j'adore, Joseph Kessel. Avec lui, je fais le tour du monde et je m'arrête en Afghanistan pour suivre un tchopendoz, Ouroz. 


Un tchopendoz ? C'est un cavalier de bouzkashi, un célèbre jeu afghan qui se joue à cheval et qui consiste à emporter le cadavre d'une chèvre dans un but, assailli par des dizaines d'autres tchopendoz. C'est le job d'Ouroz et il compte bien remporter le grand bouzkashi du roi à Kaboul. Fils du grand Toursène, monté sur Jehol, rien ne peut lui résister. Sauf son corps. Echouant à quelques centimètres de la victoire, Ouroz décide de rentrer chez lui au plus vite, par un chemin dangereux. Accompagné de son serviteur Mokkhi, il va traverser le pays pour rejoindre ses plaines natales. En chemin, il devra lutter contre l'envie de son serviteur et la douleur de sa jambe brisée. Tout un voyage pour permettre au lecteur d'apprivoiser cet étrange personnage, tout d'orgueil et d'audace.

Un livre d'aventure au cœur de l'Afghanistan, qui nous en fait découvrir traditions et reliefs, guidés par un personnage odieux mais admirable. 

Lu en Folio - 590 pages

samedi 17 septembre 2022

Sur les chemins noirs

Du Mercantour au Cotentin, Sylvain Tesson a traversé la France à pieds, par des chemins oubliés, loin des autoroutes de la randonnée. C'est cette expérience qu'il conte ici ! 

Pourquoi un tel projet ? C'est une promesse et une façon de vivre une rééducation suite à une chute qui le laisse tout cassé à l'hôpital. A sa sortie et avec les beaux jours, commence une marche dans les chemins noirs, chemins oubliés bordés de haies et non répertoriés sur les cartes de randonnées. Une marche qui est aussi une plongée dans des déserts ruraux, loin des gares et de la 4G. 

Le lecteur suit Sylvain Tesson sur ces chemins noirs, partageant ses considérations sur le monde, les rares rencontres et paysages. Un livre comme hymne à la liberté, droit à la disparition, à la déconnexion et à l'ermitage. 


Quelques phrases glanées :

"Un rêve m’obsédait. J’imaginais la naissance d’un mouvement baptisé confrérie des chemins noirs. Non contents de tracer un réseau de traverse, les chemins noirs pouvaient ainsi définir les cheminements mentaux que nous emprunterions pour nous soustraire à l’époque. Dessinés sur la carte et serpentant au sol ils se prolongeraient ainsi en nous-mêmes, composeraient une cartographie mentale de l’esquive. Il ne s’agirait pas de mépriser le monde, ni de manifester l’outrecuidance de le changer. Non ! Il suffirait de ne rien avoir de commun avec lui. L’évitement me paraissait le mariage de la force avec l’élégance. Orchestrer le repli me semblait une urgence. Les règles de cette dissimulation existentielle se réduisaient à de menus impératifs : ne pas tressaillir aux soubresauts de l'actualité, réserver ses colères, choisir ses levées d'armes, ses goûts, ses écœurements, demeurer entre les murs de livres, les haies forestières, les tables d'amis, se souvenir des morts chéris, s'entourer des siens, prêter secours aux êtres dont on avait connu le visage et pas uniquement étudié l'existence statistique. En somme, se détourner. Mieux encore ! disparaître. "Dissimule ta vie", disait Épicure dans une de ses maximes (en l'occurrence c'était peu réussi car on se souvenait de lui deux millénaires après sa mort)."

"Un embrigadement pernicieux était à l’œuvre dans ma vie citadine : une surveillance moite, un enrégimentement accepté par paresse. Les nouvelles technologies envahissaient les champs de mon existence, bien que je m’en défendisse. Il ne fallait pas se leurrer, elles n’étaient pas de simples innovations destinées à simplifier la vie. Elles en étaient le substitut. Elles n’offraient pas un aimable éventail d’innovations, elles modifiaient notre présence sur cette Terre. Il était “ingénu de penser qu’on pouvait les utiliser avec justesse”, écrivait le philosophe italien Giorgio Agamben dans un petit manifeste de dégoût. Elles remodelaient la psyché humaine. Elles s’en prenaient aux comportements. Déjà, elles régentaient la langue, injectaient leurs bêtabloquants dans la pensée. Ces machines avaient leur vie propre. Elles représentaient pour l’humanité une révolution aussi importante que la naissance de notre néocortex il y a quatre millions d’années. Amélioraient-elles l’espèce ? Nous rendaient-elles plus libres et plus aimables ? La vie avait-elle plus de grâce depuis qu’elle transitait par les écrans ? Cela n’était pas sûr. Il était même possible que nous soyons en train de perdre notre pouvoir sur nos existences. Agamben encore : nous devenions “le corps social le plus docile et le plus soumis qui soit jamais apparu dans l’histoire de l’humanité”."

"Dans la descente, ce panneau sous les poiriers prouvait combien l'administration maternait les citoyens : La praticabilité de cet itinéraire n'est pas garantie. On devrait annoncer cela à tous les nouveaux-nés au matin de leur vie !"

 

"Après tout, on gagnait à rester dans le voisinage de certains êtres. Peut-être en allait-il de même avec les arbres ?"

jeudi 25 août 2022

L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale

C'est le titre de ce livre de Ruwen Ogien qui m'a interpellée avant que je n'en connaisse le thème. Quand j'ai découvert qu'il s'agissait de philosophie morale et de dilemmes, j'ai encore plus eu envie de le lire. Et en commençant la lecture, j'ai été encore plus séduite parce qu'il n'y a pas de complexité dans la façon de traiter le sujet : c'est accessible et ça fait réfléchir, what else ?

A travers diverses expériences, l'auteur propose des choix à faire. Ces expériences de pensée inventées pour susciter la réflexion ont permis de questionner des personnes et leurs intuitions morales. A chaque chapitre, deux expériences sont décrites, souvent très proches. L'une semble souvent plus acceptable que l'autre. L'auteur se demande pourquoi, surtout si le résultat est identique. Par exemple, entre laisser mourir et tuer, le résultat est le même (mort de la personne) mais l'intention diffère. Et c'est là que ça devient parfois absurde dans les différents cas !

Outre les expériences, l'auteur nous introduit à des théories telles que le déontologisme (il y a des choses qu'on ne doit pas faire) ou le conséquentialisme (il faut faire en sorte qu'il y ait le plus de bien dans l'univers), ou l'arétisme (c'est la perfection morale personnelle qui compte). Il s'interroge sur la dignité humaine, le prix de la vie, le fait de traiter les personnes comme des moyens, sur la liberté humaine, sur les saints, sur ce qui se passerait si tout le monde en faisait autant ou sur la pente fatale (le fait d'accepter une action sur laquelle il y a un débat lié à la morale mène forcément à un résultat intolérable). 

Sur la bonté humaine et par exemple les Justes : peut-on dire que ce sont des personnes plus altruistes que les autres ? L'auteur relève que des facteurs ont favorisé ce comportement comme une demande directe ou une mise en responsabilité progressive.

Dans la seconde partie, l'auteur distingue les intuitions (ce que les gens répondent spontanément), la justification, l'interprétation par les psy ou les philosophes et les raisonnements moraux. Il invite à se méfier des interprétations. Il analyse ensuite quatre règles de raisonnement moral : 

- De ce qui est, on ne peut pas dériver ce qui doit être ou peut on dériver des normes de fait ? 
- Devoir implique pouvoir.
- Il faut traiter les cas similaires de façon similaire. Mais que veut dire similaire ?
- Il est inutile d'obliger les gens à faire ce qu'ils feront nécessairement d'eux-mêmes ; il est inutile d'interdire aux gens de faire ce qu'ils ne feront volontairement en aucun cas. Mais pourquoi tant de règles morales dans nos sociétés ?

Vous pouvez vous demander à quoi ça sert tout ça. Surtout qu'on n'a pas de solution à la fin ou de réponse : à chacun de se faire son avis, de réfléchir et sortir de l'intuition. Et à part se poser des questions sur des cas imaginaires, à s'interroger sur des questions plus concrètes autour de la bioéthique par exemple. Et à débusquer des manières d'argumenter qui relèvent de l'une ou l'autre théorie et peuvent abuser un auditeur. 


Quelques définitions et citations pour la route :

"Compatibilisme - Incompatibilisme : est-il possible de concilier ce que nous savons du comportement humain, soumis, comme tout ce qui appartient au monde naturel, à des forces qui leur échappent, et notre tendance à les juger comme s'ils étaient libres et responsables de leurs actes ? Comment faisons nous pour rendre compatibles ces deux idées contradictoires : nous sommes libres et en même temps soumis au déterminisme de la nature ?"

"Conséquentialisme : ce qui compte moralement [...] faire en sorte qu'il y ait, au total, le plus de bien ou le moins de mal possible dans l'univers. [...] Le conséquentialisme n'impose cependant aucune définition du bien."

"Déontologisme : il existe des contraintes absolues sur nos actions, des choses qu'on ne devrait jamais faire."

"Doctrine du double effet : Cette doctrine morale, dont on attribue la mise en forme à Thomas d'Aquin, désigne deux effets, l'un bon et l'autre mauvais, d'une action qui, prise en elle-même, est bonne, ou ni bonne ni mauvaise. L'un de ces effets est bon. C'est celui sui est visé par l'action, voulu par ses auteurs. L'autre est mauvais. Il est prévu par les auteurs de l'action. C'est un "effet collatéral" inévitable. [...] Ce genre d'action à deux effets est moralement permis à ces conditions (le mauvais effet n'est pas visé, ce n'est pas un moyen), auxquelles il faut ajouter que le tort causé n'est pas disproportionné."

"Internalisme - Externalisme : L'internalisme du jugement affirme qu'un jugement moral authentique est nécessairement accompagné d'une certaine motivation à agir conformément à ses exigences. [...] L'externaliste rejette l'idée qu'il existe un lien nécessaire entre nos jugements moraux et la motivation. Pour lui, la phrase "Je sais que c'est bien, mais je n'ai aucune envie de le faire" est parfaitement intelligible." 

"Utilitarisme : ce qu'il faut faire pour l'utilitarisme c'est œuvrer au plus grand plaisir (ou au plus grand bien être ou à la satisfaction des préférences) du plus grand nombre. Cet objectif peut être visé de deux façons :
- Ou bien en évaluant par un calcul la contribution de chaque acte à la promotion du plus grand bien pour le plus grand nombre (utilitarisme des actes)
- Ou bien en suivant, sans calcul, certaines règles générales comme "ne pas torturer", "ne pas mentir" dont on a toute les raisons de penser que, si tout le monde les suivait, on contribuerait à la promotion du plus grand bien pour le plus grand nombre (utilitarisme des règles)."

"Dans la tradition philosophique, on juge la valeur morale d’un acte à ses intentions. Mais certaines études expérimentales montrent que, spontanément, nous jugeons les intentions à la valeur morale des actions. Plus précisément, notre tendance à juger qu’une personne agit intentionnellement sera plus forte si les résultats de son action sont mauvais, et plus faible si les résultats de son action sont bons."

lundi 15 août 2022

Oublier le bien, nommer le mal

Cet ouvrage de Laurence Hansen-Love est sur ma LAL depuis sa parution. Ses interrogations sur le bien et le mal m'intéressaient mais j'avais peur d'un ouvrage très théorique. J'ai eu la joie de découvrir un livre accessible, ancré dans la réalité, qui fait réfléchir : triptyque gagnant ! 

"Agis toujours de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien en ta propre personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais seulement comme un moyen" Kant

Le bien et le mal, en tant qu'opposés, sont-ils pour autant symétriques ? C'est intuitivement ce qu'on croit et pourtant, ce n'est peut-être pas si binaire. Certes, Platon nous parle des indissociables kaloskagathoi (les beaux et bons), Adam et Eve d'un arbre qui les contiennent, et quelques autres ont pu nous renforcer dans cette apparente symétrie. 
"Dans un cœur envahi par le mal, elle préserve un bastion du bien. Dans le meilleur des cœurs, un coin d'où le mal n'a pas été déraciné." Alexandre Soljenitsyne

Pourtant, le bien ne connait-il pas une multitude d'acceptions ? N'est-il pas souvent un objectif idéal plus qu'une réalité ? Imaginer le mal de cette même façon serait nier les crimes et souffrances infligées par des hommes à d'autres, nier une partie de l'histoire et de la réalité. Laurence Hansen-Love fait un détour par le nazisme et le "suicide" de l'Allemagne. Elle note aussi que sous prétexte de lutter contre une "barbarie", quelle qu'elle soit, on oublie souvent les droits humains dont on se réclame. S'interrogeant sur les valeurs morales, sur le relativisme, sur le témoignage, l'auteure parcourt les siècles jusqu'à aujourd'hui et préconise de 
"nommer les crimes (option juridique), témoigner (c'est la tache des journalistes et des écrivains, ne pas craindre la contagion du mal (pour le citoyen lambda, en tant que destinataire de ces témoignages) et ne pas se laisser intimider (pour tout le monde)."



Composition de l'ouvrage :

1. Le mal n'est pas l'absence de bien
2. Seule la pierre est innocente
3. "Le mal c'est bien", ou l'inversion des normes
4. "Le devoir d'exterminer"
5. Oublier le bien
6. L'impasse relativiste
7. Le fait du mal
Conclusion : nommer le mal

"Le Mal désigne une réalité, ou, sans doute, plus exactement, le dénominateur commun d'un certain nombre de réalités, tandis que le Bien renvoie à un objectif hypothétique, à un idéal régulateur (Kant), dont l'unification et la définition sont pour le moins problématiques"
"Les méchants ne "pensent" pas, en ce sens que, incapables de se mettre à la place des autres, ils s'abstiennent de chercher à comprendre quels sentiments les autres peuvent éprouver [...] La méchanceté n'est donc pas la volonté du mal, elle n'est rien d'autre, plus trivialement, que le négatif de la bonne volonté. Consentement à l'indifférence, au mépris ou à la haine, la méchanceté ne serait donc que "l'amour à l'envers""
"Pourvu d'un cerveau surdimensionné et d'une intelligence hors-norme, Homo sapiens sapiens détient, de facto, « le privilège douteux d'être l'espèce la plus meurtrière des annales de la biologie ». Paradoxe qui n'en est pas un si, renchérissant sur Descartes, nous considérons que la « liberté d'indifférence » (choisir le pire parce que c'est le pire, en toute conscience) et non pas « le plus bas degré de la liberté » mais sa manifestation la plus « positive ». Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle témoigne d'une aptitude spécifiquement humaine, celle de poser librement nos propres valeurs, ce qui implique de commencer par rejeter celles de notre entourage - insoumission et sédition qui nous arrachent à notre condition animale originelle. […] L'inversion des normes témoignerait tout au contraire d'une conscience morale exacerbée, autrement dit d'un désir d'humanité poussé jusqu'à ses plus extrêmes conséquences"
"Toute « politique » commence par la désignation de l'ennemi, comme l'explique un autre grand théoricien du nazisme, le juriste Carl Schmitt: cet être maléfique, ce sera donc aussi, et même ce sera d'abord, le représentant de la contre-nature, véritable principe de mort dirigée contre Soi, qui toujours se cache, empruntant les traits d'un rival faussement semblable… La résultante prévisible d'une telle fabrication paranoïaque de l'altérité est l'obligation quasi « morale » d'éliminer l'ennemi"
"Dans le cas de l'Allemagne des années 30 le sentiment intolérable d'être perçus, de facto, et par le monde entier, comme des perdants, et de devoir l'assumer, ne put être compensé que par une fuite en avant dans la mégalomanie. Les nazis en vinrent ainsi à nourrir le fantasme hypnotique de dominer le monde. Or, c'est ce qui est le plus frappant, dans le cas du nazisme comme dans celui de l'extrémisme islamiste, plus le projet est voué à l'échec, plus le fanatisme avec lequel il l’épouse s'exacerbe"
"Aussi longtemps que chaque camp prétendra lutter contre « l'Empire du Mal » tout en incarnant le parti du Bien, il faudra assumer - comme nous y invitent les auteurs évoqués ici - notre part de responsabilité dans ce mouvement réciproque de diabolisation qui reconduit un conflit sans nom (ce n'est pas une « guerre » au sens habituel de ce terme) ainsi qu'une violence sans fin […] Nous devrions peut-être cesser de considérer que combattre le mal, et ceci par n'importe quel moyen, c'est forcément « bien » : nous ne pouvons plus ignorer que c'est toujours et partout au nom du Bien que les hommes liquident leurs semblables"
"Il y a une multiplicité de "biens" - tels que, par exemple, la santé, l'honneur, la puissante, la vertu ou la sagacité - et, selon les prédilections des uns et es autres, différentes éthiques entreront donc inévitablement en concurrence. L'idée de Bien suprême, ou de Souverain Bien, est non seulement vaine : elle est trompeuse"
"Bien loin de désirer les choses parce qu'elles sont bonnes, nous ne les jugeons bonnes que parce que nous les désirons!"
"Nos représentants ne se règlent pas nécessairement sur ce qui est bien, ni sur ce qui est bon, ni sur ce qui est juste, pas même peut-être sur ce que devrait prononcer une "volonté générale" soucieuse de respecter prioritairement une constitution républicaine et les droits humains universels"
"Il existe une autre manière d'assumer les difficultés que pose la société multiculturelle, tout en évitant l'écueil du relativisme radical. Elle consiste tout simplement à distinguer l'éthique (la représentation de la vie bonne) et la morale qui, sans se prononcer sur le sens et les finalités de l'existence belle et bonne, impose pourtant à tous des obligations selon Dworkin : "Tandis que l'éthique désigne les convictions à propos des sortes de vie qu'il est bon ou mauvais de mener, la morale renvoie aux principes qui guident la manière dont toute personne doit se comporter avec les autres". Plusieurs éthiques donc, mais une seule morale pour une société certes tolérante, mais non pas disposée à tolérer... l'intolérable"

"Le relativisme moral s'auto-réfute. Il conduit en effet à renoncer non pas seulement à tel ou tel système particulier de normes morales, mais à toute appréciation d'ordre éthique (« ceci vaut mieux que cela », «  ceci est cruel, insupportable »), puisqu'il impose à ses partisans de s'abstenir de porter un jugement de valeur quel qu'il soit, y compris sur ce relativisme lui-même"
"Il y aurait dans le mal un phénomène énigmatique, irréductible et indicible […] Seuls les mythes et les formations symboliques peuvent éventuellement tenter d'en rendre compte, quoique de façon détournée et circonspecte, car si ce « super diable » a été vaincu, il est loin d'avoir été liquidé. Or, ceux qui sont possédés par le Mal finissent toujours par le transmettre aux autres."
"Quelles que soient nos orientations morales, nous pouvons nous accorder sur le fait que l'extrême individualisme et l'indifférence au sort de nos semblables, qui sont des traits marquants de notre époque, en particulier dans les sociétés les plus « avancées », sont préoccupants. Cet aspect de notre culture démocratique, anomique et tolérante suscite d'ailleurs un violent rejet de la part de tous ceux qui en sont éloignés, ou qui s'en sentent, à tort ou à raison, rejetés ou exclus"

vendredi 12 août 2022

Le chœur des femmes

Encore une sortie de LAL pour ce chouette roman de Martin Winckler ! 

Au programme, la découverte d'un service gynéco dédié aux femmes et à l'écoute de leurs questions / besoins avant tout. C'est le Dr Karma qui gère ce service bien différents des autres lieux de l'hôpital où l'égo des médecins règne en maître et où les patients sont infantilisés. Quand l'interne J. Atwood débarque dans ce service, elle imagine que son boss est un grand manipulateur avant de comprendre qu'il est possible d'être dans un posture de soignant aidant sans prendre les patients pour des idiots - des idiotes en général. 

Toutes les histoires des unes et des autres sont chouettes, éclairantes ; les femmes sont attachantes, leurs questions rejoignent les miennes, je rêve de rencontrer des médecins aussi disponibles... Et l'histoire d'Atwood, qui creuse son identité et ses origines, est intéressante quoi que mal répartie dans le bouquin selon moi. 

Plus que le roman, ce sont vraiment les interactions qui m'ont plu dans ce livre. 

682 pages chez Folio

lundi 25 juillet 2022

La montagne de minuit

Je poursuis ma découverte des romans de Jean-Marie Blas de Roblès avec ce titre. Au programme, un voyage au Tibet.

Bastien, gardien dans une école mis à la retraite, est passionné du Tibet. Sa voisine, Rose, intriguée par cette passion peu commune, l'invite et découvre un érudit dont le seul rêve est d'aller au Tibet. Voyage qu'ils font ensemble et sur lequel le fils de Rose revient, par lettres interposées. Comment a-t-il pu se former et connaitre tant d'éléments sur le Tibet, c'est un des mystères que Rose va élucider pendant le voyage. 

Un joli roman initiatique qui s'interroge sur la place de la vérité, de l'histoire, qui fait voyager !  



lundi 11 juillet 2022

Le huitième jour de la semaine

Encore un recueil de Bobin ! Ce n'est pas mon favori mais on y trouve de belles phrases. 

« Qu’est-ce donc que la vie ordinaire, celle où nous sommes sans y être ? C’est une langue sans désir, un temps sans merveille. C’est une chose douce comme un mensonge. Je connais bien cet état. J’en sais – tiré par le cœur – la banalité et la violence. L’âme y est comme une ruche vidée de ses abeilles. »

« Au fond, si la vérité nous fait parfois défaut, c’est parce que nous avons commencé à lui manquer, en prétendant la régenter et la connaître. »

« Les grandes décisions se prennent dès l’enfance, celles qui orientent le cours des astres et l’allure des songes. Elles naissent de tout et de rien. Elles naissent de l’indigence soudainement révélée du tout de la vie. A sept ans, l’âme est déjà menée à son terme, enroulée sur sa propre absence, comme les pétales d’une rose amoureusement repliés sur le vide en leur centre. »

« Nous manquons à notre vie. Nous manquons à tout. L’étrange est au fond que la grâce nous atteigne, quand tous nos efforts tendent à nous rendre inaccessibles. »

« Il faut encore vouloir ce que l’on aime, et il faut le vouloir d’une volonté profonde, pure de toute impatience, comme obscure à elle-même. Un désir trop brutal menacerait les puissances qui sont en nous tout aussi surement qu’un trop long oubli. » 
« Vous portez à son incandescence une vertu partagée par toutes les femmes de ne jamais rien céder aux vains prestiges des êtres. Il y a une joie dans le monde. Il y a une jouie élémentaire de l’univers, que l’on assombrit chaque fois que l’on prétend être quelqu’un ou savoir quelque chose. »

 


lundi 4 juillet 2022

Chanson douce

Après le livre et le film, je me décide enfin à découvrir ce roman de Leïla Slimani dont j'ai lu beaucoup de critiques enchantées. Je sors pourtant un peu frustrée de cette lecture.

Myriam a eu deux enfants avec Paul. Enfermée dans son rôle de mère, elle ne le supporte plus. C'est donc un petit miracle lorsqu'un avocat lui propose de travailler avec lui. Myriam et Paul se mettent en quête d'une nounou et engagent Louise. Louise est parfaite : elle calme les chagrins, cuisine à merveille et range l'appartement. Certes, Myriam culpabilise parfois de lui laisser ses enfants mais elle s'épanouit dans son travail et, à nouveau, dans son couple. Louise est de plus en plus indispensable. 

Mais derrière son apparente perfection, Louise cache bien des soucis, qui la mènent jusqu'à l'irréparable décrit en début de roman. Et c'est ce fil qui est remonté par les enquêteurs pour comprendre le crime. 

Rondement mené et difficile à lâcher, ce roman campe un personnage fascinant - et effrayant - avec cette Louise qui s'insinue dans la famille. Je regrette simplement que Myriam y soit de moins en moins présente. Un roman proche du thriller et, en creux, l'analyse d'une forme de relation maître-esclave dans nos sociétés urbaines où tout se sous-traite. 

 


lundi 27 juin 2022

Comptines assassines

Sortie de LAL pour cet ouvrage de Pierre Dubois, noté il y a une éternité sur mon carnet magique !  

Au programmes des histoires de crimes liés à des contes de fées. Ne vous attendez pas à croiser princesses et princes charmants, les personnages sont plutôt cruels et dépravés. Ils aiment la torture et susciter la peur. 

Le lecteur découvre d'abord un chat botté qui aime assassiner des personnes infirmes. Puis un Sherlock Holmes mort d'ennui découvrant les joies du spiritisme. Et ce pauvre vieux et sa pauvre vieille victimes des superstitions locales au sujet de la dame blanche. Ou maître Boutonnet découvrant le monde des contes de fées, sans les méchants, dans un coin de forêt féérique. Enfin, jusqu'à ce qu'il devienne diabolique. Ou un homme pouvant tuer trois fois sans être poursuivi, prenant gout au meurtre. Ou encore ce Barbe-Bleue contemporain, qui ramasse des filles paumées tous les ans pour son anniversaire. Ou cette femme marquée du nom de Dracula. Ou enfin cette série de meurtres autour d'Alice au pays des merveilles...

Histoires criminelles et fantastiques, elles sont écrites avec précision et d'une belle langue, élégante et parfois précieuse. 



lundi 20 juin 2022

Le bébé

Je retrouve Marie Darrieussecq avec un livre dont le titre m'a intriguée. Comme elle le dit, ce n'est pas si souvent qu'on parle de bébé en littérature.  

A travers deux cahiers et trois saisons, l'auteure nous partage son quotidien avec son bébé. Il est question de ses sensations et de ses réactions devant ce nouvel être. Bien entendu, elle parle accouchement et couveuse - le bébé est préma. Mais aussi du rythme repas - repos. Elle suit le développement du bébé, ses maladies, ses interactions avec le monde - et surtout avec elle.

Assez court, pas très passionnant, c'est peut-être un livre qui parlera plus aux parents !



lundi 30 mai 2022

Les sept nuits de la reine

Je renoue avec Christiane Singer par ce roman, qui nous dit la vie d'une femme en sept nuits. 

Livia se livre à un ami à travers le récit de sept nuits, de la nuit où elle veille sa mère à une nuit où elle est elle-même âgée. Ces nuits cruciales sont celles de l'enfance, de l'adolescence, de l'amour, de la maternité, du deuil, de l'attente... Des nuits qui reviennent sur des fragments de vie. 

C'est un roman agréable à lire, bien écrit. Je me suis peu attachée à l'héroïne mais j'ai aimé l'introduction à ses nuits. Et c'est ce que je garderai : 


"Vous me comprenez mal. Je ne veux pas savoir quel rôle vous est confié cette saison au théâtre mais qui vous êtes, ce qui vous habite, vous réjouit, vous saisit ? Beaucoup persistent à ne pas comprendre, habitués qu'ils sont à ne pas attribuer d'importance à la vie qui bouge doucement en eux. On me dit: Je suis médecin ou comptable mais rarement : ce matin, quand j'allais pour écarter le rideau, je n'ai plus reconnu ma main... ou encore : je suis redescendue tout à l'heure reprendre dans la poubelle les vieilles pantoufles que j'y avais jetées la veille, je crois que je les aime encore... ou je ne sais quoi de saugrenu, d'insensé, de vrai, de chaud, comme un pain chaud que les enfants rapportent en courant du boulanger. Qui sait encore que la vie est une petite musique presque imperceptible qui va casser, se lasser, cesser si on ne se penche pas vers elle ?"

lundi 23 mai 2022

Travail social… le grand malentendu

Cet ouvrage d’Eric Kérimel de Kerveno, je l'ai croisé au boulot et il m'a bien plu ! Il y est question de travail social, avec une voix originale et ferme. Au fil des histoires et des rencontres, un engagement se lit, au service des plus méprisés : drogués, prostituées, alcooliques, etc. Le chemin de l'auteur : reconnaitre l'humain dans l'autre, lui permettre de redécouvrir ses capacités, de s'en emparer.

Il y est question de sujets personnels tels que la juste distance et l'engagement. Il y est question de sujets plus politiques autour des priorités sociales et de la façon d'exercer le travail social, notamment les fameux projets pour lesquels trouver des budgets relève du défi si elles innovent un tant soit peu.  

Le plus marquant : rappeler simplement de traiter les personnes comme des adultes, dignement.



samedi 21 mai 2022

50 idées reçues sur l'agriculture et l'alimentation

Cet ouvrage de Marc Dufumier s'organise à partir de 50 questions ou idées reçues. Une réponse est développée pour chacune sur une à quatre pages. Cela donne un petit ouvrage facile à lire et informatif sur des questions qui traitent de l'avenir de notre alimentation. 


Il est question des aliments et de leur production, des effets sur la santé, le climat, la terre. L'industrie agroalimentaire est critiquée ainsi que la mondialisation des prix des produits agricoles. Il y a des infos sur le bio, les semences ou encore la vie à la campagne. Une mine d'infos ! 



lundi 16 mai 2022

Premier sang

Ça fait longtemps que je n'avais pas lu Nothomb. Je renoue avec elle grâce à ce livre dont on m'a dit du bien et dont je sors sans émerveillement.

C'est l'histoire du père d'Amelie, dont il se souvient alors qu'il est tenu en joue par des militaires du Congo belge.

On part de sa naissance de Patrick, d'un père disparu et d'une veuve éplorée, mondaine, qui confie son fils à ses parents. Il grandit comme une douce fillette. Et il s'endurcit chez ses cousins, pauvres mais vivants. 

C'est drôle, vivant, sans les jolis mots que je garde d'Amélie. 

lundi 9 mai 2022

Ressusciter

Voici un écrit de Christian Bobin autour de son père, suite à la mort de celui-ci. Il cherche toujours la joie, il aime toujours les petites choses de la vie. C'est un ensemble de pensées choisies dont j'ai collecté quelques perles !

« Une fée s’est penchée sur mon berceau à la naissance et m’a dit : « Tu ne gouteras qu’à une part minuscule de cette vie et en échange tu la percevras toute » »

« Les lumières qui nous sont accordées sont si nombreuses que, même en le voulant, nous ne pourrions les gâcher toutes »

« L'amour est le miracle d'être un jour entendu jusque dans nos silences, et d'entendre en retour avec la même délicatesse : la vie à l'état pur, aussi fine que l'air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse »

« Toute rencontre m’est cause de souffrance, soit parce qu’elle n’a lieu qu’en apparence, soit parce qu’elle se fait vraiment et c’est alors la nudité du visage de l’autre qui me brule autant qu’une flamme »

« Nous nous faisons beaucoup de tort les uns aux autres et puis un jour nous mourons »

« Je cherche la plénitude d’une vie si limpide que rien ne pourrait la troubler, pas même la vue de ce monde mort »

« La vérité est sur la terre comme un miroir brisé dont chaque éclat reflète la totalité du ciel »

« L’histoire des cadeaux qu’on nous fait est comme la chronique des malentendus qui se sont glissés entre ceux qui donnent et celui qui reçoit »

« J'ai toujours eu un léger dégoût pour ceux qui sont capables de commenter pendant des heures la finesse ou l'arôme d'un vin, amenant dans leur parole, pour des choses sans importance, une délicatesse qu'ils ne mettent pas dans leur vie » 
« J’ai enlevé beaucoup de choses inutiles de ma vie et Dieu s’est rapproché pour voir ce qui se passait »