lundi 24 octobre 2022
Dieu, le temps, les hommes et les anges


lundi 17 octobre 2022
La promesse


mercredi 14 septembre 2022
Les enfants Jéromine
"Non, il n'était pas nécessaire que quelque chose de grand sortît de l'enfant de la chaumière. Il suffisait qu'il cultivât trente arpents de maigre terre, de sa jeunesse à sa vieillesse. Car s'il ne le faisait pas le champ retournait au désert, et au lieu de pain il donnait des pierres. Et aucun enfant ne sortait de cet enfant, et dans la chaîne des générations quelque chose était rompu. Le village y perdait un sourire qui eût été donné peut-être aux éprouvés, une assistance amicale, une parole cordiale en une année de mauvaise récolte. Il n'était pas vrai, selon Jons, qu'il n'y eût personne d'irremplaçable. Les affaires de l'humanité ne se faisaient pas par des suppléants. Pas même celles d'un pays ou d'un village. Il n'était pas vrai que lui, Jons, pût être remplacé par un docteur Joyeux, ou un docteur Triste, ou même par un docteur Toutlemonde, pas vrai que Stilling ou Korsanke fussent remplaçables. Non, pas même Piontek ! Quelqu'un pouvait prendre leur place, et leur emploi serait, comme on dit, pourvu. Toutefois l'homme qui le détenait était irremplaçable. Il était tombé, une seule fois, de la main de Dieu, et Dieu l'avait façonné en type unique et non pas en série, comme à la chaîne d'une fabrique d'engins mécaniques."
"Qui est déshérité ? demanda Lawrenz en se ployant sur son fauteuil. Qui est sans travail ? Faut-il que la langue soit un instrument si docile de nos erreurs ? Avez-vous jamais vu un seul homme que Dieu ait déshérité ? Un père, une mère peuvent déshériter, et ils ne peuvent, eux non plus, enlever que de l'argent et des propriétés, sans pouvoir déshériter de leur sang. Mais Dieu ne déshérite pas même les incroyants. lI ne nous enlève ni le sol que nous foulons de nos pieds, ni la lumière du soleil, ni la muette image des fleurs. Et quand il nous fait marcher sur des béquilles et nous rend aveugles, il nous donne du moins encore la force de créer un autre monde, en notre esprit."
"Ils étaient des orphelins et portaient tous le même uniforme gris. Et pourtant il y avait eu parmi eux des rois, comme le grand-père, des héros, comme Michael, des êtres ayant la grâce, comme Christian, et d'autres ayant la noblesse, comme son père. Mais le Reich ne les voyait pas. Il s'était retiré dans ses grandes villes et ce qu'on y adorait c'était l'or et la parole. Des choses éphémères et trompeuses, comme la puissance édifiée sur elles. Celui qui était envoyé dans les forêts y allait comme en exil et celui qui était appelé dans les villes était un élu. Et le petit nombre de ceux qui étaient appelés n'était reconnu de personne. On les envoyait à la mort, comme Jumbo, et on ne savait pas qu'ils étaient irremplaçables. On ne distinguait pas entre la valeur et le nombre."
lundi 18 juillet 2022
La langue géniale
Certains d'entre vous le savent peut-être, j'ai étudié et adoré le grec ! D'abord, les mythes et les personnages soumis aux dieux et à leurs passions, puis la littérature avec la langue et la philosophie. C'est donc avec plaisir que je me suis plongée dans cet ouvrage d'Andrea Marcolongo. Loin d'être un simple essai sur cette langue, c'est une déclaration d'amour.
On la suit d'abord dans les conjugaisons et la notion de temps. On ira jusqu'à l'optatif. Il y a de drôles de temps en grec, comme l'aoriste par exemple. Et il y a des aspects qui qualifient l'action. A partir d'exemples, souvent assez humoristiques, et d'extraits de textes grecs, on rentre dans la complexité et l'unicité de la langue.
On parle ensuite - avec la prononciation, perdue. Mais des petits indices restent dans l'écriture avec les esprits et les accents. Un détour par la poésie nous fait rêver de récitations.
Puis, le lecteur découvre les genres et nombres notamment le neutre et le duel. Puis les cas et les fameuses déclinaisons.
On sort ensuite de ces questions grammaticales pour rentrer dans la traduction, cette inévitable trahison, et les nombreuses façons de traduire. Rassurez-vous, c'est possible ! Enfin, on termine, et c'est étonnant, par un chapitre sur la langue, ses origines, la façon dont elle s'est fixée tout en continuant sous d'autres formes ailleurs qu'à Athènes.
Un joli voyage dans la grammaire grecque !


mercredi 13 juillet 2022
La maison dans laquelle
Je ne sais plus chez qui j'ai repéré ce titre de Mariam Petrosyan mais merci à cette personne pour la découverte fabuleuse ! Ce roman a occupé tout mon temps libre cette semaine, j'étais fascinée par ce monde, par cette maison aux murs barbouillés de mots, de dragons ou de girafes. Une maison où vivent des enfants et des adolescents, tous mutilés, organisés en groupes, en bandes.
Le fameux groupe 4, avec lequel on traine pendant les 954 pages chez Monsieur Toussaint Louverture, nous apparait à travers les yeux de Fumeur, transfuge du groupe 1. Cette jeune recrue nous fait rencontrer des personnages étonnants : Sphinx, l'Aveugle, Tabaqui, Vautour, Noiraud et bien d'autres. Tous ces jeunes gens ont des handicaps physiques, certains sont des roulants (en fauteuil) et d'autres non. Ils évoluent dans une maison qui peut aussi être une forêt la nuit, une maison pleine d'histoires et de secrets. Les leurs mais aussi ceux des promos précédentes dont les départs ont été vécus dans la violence.
Pas beaucoup de profs, de cours, d'éduc et d'adultes en général. Ils existent à la marge des vies adolescentes, peu intéressants. Idem pour l'Extérieur, qui désigne tout ce qui n'est pas la maison. Effrayant ou inintéressant, il ne mérite pas que l'on s'y attarde ou que l'on y retourne. Pas besoin de ces éléments, la Maison est riche et les histoires qui s'y vivent apparaissent comme autant de contes que certains se racontent lors de la nuit la plus longue, celle où toutes les horloges s'arrêtent. Et les strates des murs révéleraient les appartenances de chacun, leurs bandes d'origine car les gens changent, leurs surnoms aussi et leur groupe d'amis tout autant. Il y a à l'époque principale, les Faisans, très sérieux, les Rats, punks crados, les Oiseaux gothiques et fans de plantes, les Chiens avec leurs colliers à clous... et le groupe 4. Et le lecteur d'amuse à repérer sous les comportements des ados les enfants qu'ils étaient à leur arrivée - un récit des origines s'intercale avec celui de Fumeur.
Cette maison, c'est un monde à part entière, et un autre monde aussi car certains ont la faculté de "sauter" dans l'envers, dans la forêt, ailleurs. Il y a un sépulcre (l'infirmerie), le côté des filles et celui des garçons, la cafetière (où se boivent des boissons étranges), un croisement et bien d'autres lieux dans le labyrinthe qu'est la Maison, comme si elle se métamorphosait elle aussi. Elle a surtout ses mystères, ceux que le lecteur emporte en fermant le roman, les questions et les interprétations vont encore longtemps me trotter dans la tête !


jeudi 23 juin 2022
Le retour d'Hercule Poirot
Sir Reuben est mort, son neveu est accusé, l'affaire semble classée. Pourtant, Lady Astwell, l'épouse de Sir Reuben, envoie chercher Hercule Poirot, persuadée qu'Owen Trefusis est le coupable. Ce secrétaire irréprochable n'a pourtant pas l'air coupable. Toute la maisonnée va donc accueillir le détective belge le temps de résoudre l'affaire.
Retrouvée dans son bureau, la victime a forcément été tuée par l'une des personnes de la maison. C'est une course contre les nerfs des uns et des autres qui commence.
Un whodunit agréable, par cette chère Agatha Christie !


lundi 13 juin 2022
La petite boulangerie du bout du monde
Croisé dans une boite à livres, ce roman de Jenny Colgan a failli y rester. Et puis, sa couverture mimi et son histoire de boulangerie m'ont tentée. C'est typiquement le genre de livre que je lis rarement - voire pas du tout - et j'y ai pourtant pris plaisir pour une fois. Un roman doux, pas très fou non plus, mais agréable à lire et avec des recettes à la fin - miam !
Polly n'a plus un rond. Son entreprise est en faillite, elle doit quitter son appartement et son mec - et collaborateur - la laisse tomber. Elle se retrouve donc à louer l'appartement le moins cher de la région, dans l'île de Mount Polbearne. Evidemment, il est dans un état lamentable. Mais avec un peu d'huile de coude, le lieu devient habitable. Au chômage, Polly en profite pour s'adonner à son loisir favori : faire du pain. La nouvelle - et les odeurs - se répand dans la petite ile et les habitants s'intéressent d'autant plus à ce talent que la seule boulangerie du coin est exécrable. Sauf que c'est celle de la proprio de Polly... Bref, vous voyez l'intrigue se ficeler sous vos yeux. Et puis, Polly est célibataire et c'est le cas de quelques personnes sur l'île aussi. Côté cœur aussi, il va se passer des choses. Enfin, ce qui est le plus sympa, c'est finalement de voir l'héroïne se reconstruire petit à petit.
Evidemment, ce n'est pas de la grande littérature mais c'est sympa, drôle et lisible.


lundi 6 juin 2022
Le major parlait trop
Un petit Agatha Christie qui met en scène la délicieuse Miss Marple aux Antilles !
Assommée par un major qui lui raconte ses faits de guerre, ses histoires et lui dévoile même connaitre un meurtrier, Miss Marple regrette son cottage anglais et ses voisins à espionner. Le major meurt brutalement, est-ce un accident ? Comme moi, vous imaginez bien que non. Qui est le coupable ? Y aura-t-il d'autres meurtres ? Je vous laisse lire le polar pour le découvrir.
Les ficelles habituelles de la romancière, avec un décor qui change mais qui ne sert pas à grand chose. Entre l'hôtel sur la plage ou les maisons british, les habitants vivent les mêmes drames.

lundi 2 mai 2022
Dieu à Paris
Virgil Gheorghiu pour moi, c'est La vingt-cinquième heure et le lycée. Ce livre traine dans ma PAL depuis plus de 10 ans. Je ne savais pas à quoi m'attendre. C'est un livre qui se lit un peu comme un polar avec un tueur à gage qui prépare son coup.
Haralamb Baxan vient d'être sollicité pour tuer l'évêque Théodot, un saint homme qui défend l'église roumaine de Paris. Ce lieu résiste à la République socialiste. Alors, le tueur imagine un plan complexe et subtil pour tuer l'évêque sans se faire soupçonner.
Le lecteur suit donc les préparatifs du meurtre, intrigué par les moyens employés. Il découvre ainsi les ressorts de la guerre froide. Intéressant et se lit bien !


jeudi 28 avril 2022
Le parfum du temps
"Faire des promesses, s'engager ou être fidèle, par exemple, sont de véritables pratiques temporelles. Ces actions engagent le futur dans la mesure où elles prolongent le présent dans le futur et qu'elles font s'entrecroiser ces deux temporalités""Le propos qui veut qu'accélérer sa vie permet de la maximiser induit en erreur. Si on y regarde de plus près, l'accélération se révèle être une agitation nerveuse qui fait vibrionner la vie d'une possibilité à l'autre. Elle ne trouve jamais la paix, c'est-à-dire une conclusion [...] Mais en réalité, il ne s'agit pas d'une véritable accélération de la vie. La vie n'a fait que devenir plus agitée, plus désordonnée, plus désorientée. Eparpillé, le temps ne déploie aucune force ordonnante. Aucun évènement décisif ou marquant n'apparait dans la vie. Le temps de la vie n'est plus découpé en périodes, achèvements, seuils et passages. On se hâte plutôt d'un présent à l'autre. On prend de l'âge sans devenir vieux. Finalement, on perd la vie à contretemps. C'est la raison pour laquelle il est aujourd'hui plus difficile que jamais de mourir""Le temps mythique est immobile comme une image. Le temps historique a en revanche la forme d'une ligne qui court ou fuit vers un but. Si la tension narrative ou téléologique de la ligne disparait , alors celle-ci se décompose en points qui vibrionnent sans but. La fin de l'histoire atomise le temps en temps discontinu. [...] L'histoire disparait désormais au profit des informations. Elles n'ont ni durée, ni ampleur narrative. Elles ne sont ni centrées, ni orientées.""Comme le temps manque d'articulations fortes, on voit naître le sentiment que le temps passe plus vite qu'auparavant. Ce sentiment est renforcé par le fait que les événements se succèdent sans se graver profondément en nous, sans devenir des expériences""Si l'on s'oriente finalement vers un but, alors l'intervalle spatial jusqu'au point à atteindre n'est encore qu'un obstacle à surmonter au plus vite. Être orienté vers un but retire toute signification à l'espace intermédiaire. Il se retrouve vidé et devient un corridor sans aucune valeur propre. L'accélération c'est la tentative de faire complétement disparaitre le temps intermédiaire, ce temps nécessaire pour surmonter l'espace intermédiaire. La riche sémantique du chemin disparait""Aristote identifie trois types de vie (bioi) attribués à l'homme libre : la vie qui tend au désir (hedone), la vie qui produit la polis, des faits beaux et nobles (bios politikos), et la vie consacrée à la considération contemplative de la vérité (bios theoretikos). Ces trois types de vie sont dépourvus de besoins et de contraintes [...] Le travail est lié aux besoins vitaux. Il n'est pas une fin en soi mais un moyen, un moyen vital nécessaire et orienté vers la satisfaction de nos besoins. Il n'est donc pas digne d'un homme libre [...] L'homme n'est homme que lorsqu'il a du temps libre. A la base de cette acception antique du temps libre, se trouve une ébauche du Dasein impénétrable, voire même incompréhensible aux yeux des hommes d'aujourd'hui, au monde totalement absorbé par le travail, l'efficacité et la productivité. La culture antique du temps libre renvoie, d'un point de vue prospectif, au fait qu'un tout autre monde est possible, un monde où le caractère fondamental du Dasein humain n'est pas, comme chez Heidegger, le souci""L'Esclave est certes libéré de la domination du Maître mais c'est au prix d'une nouvelle domination : il devient esclave du travail. Le dispositif du travail englobe tout, le Maître comme l'Esclave. Ainsi nait une société du travail dans laquelle tout le monde est un esclave du travail, une société du travail. Tout doit être travail. Il n'existe aucun temps qui ne serait pas du travail""Faute de quiétude, notre civilisation aboutit à une nouvelle barbarie. A aucune époque, les hommes d'action, c'est-à-dire les agités, n'ont été plus estimés. L'une des corrections nécessaires qu'il faut entreprendre d'apporter au caractère de l'humanité sera d'en fortifier dans une large mesure l'élément contemplatif."


jeudi 3 mars 2022
Klara and the sun
Bienvenue dans un magasin qui vend des AF (artificial friend). Klara est l'une d'elle et se charge au soleil. Elle est aussi douée d'une capacité d'apprentissage et d'observation qui lui permet d'interpréter - parfois de comprendre - le monde. Choisie par Josie, une adolescente malade, elle découvre le monde à travers ses yeux. Vivant dans une belle maison isolée, elle interagit principalement avec la mère de Josie, une gouvernante, Rick (un ami de Josie) et Josie elle-même. Elle va surtout tout mettre en œuvre pour la sauver, en ayant recours à un culte étrange, sans imaginer qu'elle n'est guère qu'un jouet pour la jeune fille.
Sympathique histoire du point de vue de ce robot, avec ses pixels dans la vue. Dommage que certains aspects de cette société futuriste n'aient pas été plus développés comme les "lifted children", la place des robots et des êtres humains ou certains personnages.


samedi 15 janvier 2022
Un combat
Relecture avec cette nouvelle édition, d'une nouvelle de Süskind lue adolescente.
Au jardin du Luxembourg, Jean, champion local d'échecs, affronte un nouveau venu. Plein de flegme, l'air vainqueur, un jeune homme l'affronte devant les badauds habituels. Ceux-ci, souvent mis échec et mat par Jean et impressionnés par son adversaire, commentent le match. Tous, même Jean, ont envie que le nouveau venu gagne. Le lecteur suit le jeu jusqu'à son dénouement.
Edité avec des dessins de Sempé, ce livre est une belle redécouverte !


lundi 27 décembre 2021
Les contes de l'Alhambra
J'ai noté ce titre de Washington Irving lorsque j'ai visité ce magnifique monument de Grenade. Croisé au hasard d'une boite à livre (eh oui, parfois il y a des petits trésors là-dedans), je l'ai finalement lu récemment. Notre auteur, américain, se met en scène lors d'un voyage en Espagne. Il vantera fortement le caractère des espagnols, fiers, honnêtes, un peu rustres, et de la terre qui les porte. A mesure de son récit de voyage et de son installation dans l'Alhambra - on peut faire ça au XIXe, c'est dingue, non ?-, il collecte des contes. Ceux-ci se passent souvent à l'époque médiévale, sous le règne des Maures ou à la Reconquista. Il est question de trésor, de fantômes, de femmes... C'est charmant !


lundi 13 décembre 2021
Le cœur de l'homme
Je clôture avec ce titre ma lecture de la trilogie de Jon Kalman Stefansson. A la fin du tome précédent, j'étais persuadée que l'aventure était finie, qu'il n'y avait que deux tomes, que je n'entendrais plus parler du "gamin". Alors imaginez ma joie de découvrir que j'allais de nouveau suivre ce personnage.
Jens et le gamin, rescapés de la tempête, se réveillent dans la belle demeure d'un médecin. C'est là qu'ils rencontrent Alfheidur, une beauté aux cheveux roux et aux yeux verts qui ne cessera d'habiter l'esprit du gamin. Remis de leur périple, ils regagnent le village. La vie semble reprendre tranquillement sauf que des lettres sont parties, ont été lues, ont changé des vies. Une femme a quitté son mari. Une autre croit qu'on se moque d'elle. Les mots du gamin ont un pouvoir qu'il découvre aux dépens des personnes. Rien n'a changé, tout a changé. Et Geirprudur, la riche et libre veuve qui accueille le gamin va aussi devoir faire des choix, coincée par les hommes riches du village.
Un troisième tome centré sur le village, sur les interactions entre les habitants, sur les différences sociales, donc différent des précédents qui étaient plutôt des quêtes et des voyages. Il est tout aussi riche et plaisant à lire, l'écriture, toujours aussi belle, et la force des mots toujours au centre de l'ouvrage. Un régal !
"Les besoins de l'homme ne sont pas légion : il lui faut aimer, se réjouir, manger, puis un jour il meurt. Pourtant, plus de six mille langues sont parlées à travers le monde, pourquoi doivent-elles être si nombreuses si c'est pour exprimer d'aussi simples désirs ? [...] Une caresse, un frôlement peuvent en dire plus que tous les mots du monde, c'est vrai, mais la caresse s'estompe au fil des ans et alors nous avons a nouveau besoin des mots, ils sont nos armes contre le temps, la mort, l'oubli, le malheur."
"On ne saurait vivre pour la seule raison qu'on n'est pas mort, ce serait une trahison. Il faut vivre comme une étoile qui scintille"


jeudi 11 novembre 2021
La tristesse des anges
"Mais le sommeil fuit les défunts. Lorsque nous fermons nos yeux fixes, ce sont les souvenirs qui nous sollicitent à sa place. Ils arrivent d'abord isolés, parfois d'une beauté argentée, mais ne tardent pas à se muer en une averse de neige étouffante et sombre""L'homme doit toujours longuement souffler sur les braises afin que le feu ne meure pas, quel que soit le nom qu'on lui donne : vie, amour, idéal, il n'y a que l'étincelle du désir qui s'éveille d'elle-même""Il ne baigne pas dans la mort bleuté de l'océan, mais dans la clarté bénie du ciel, eh oui, il est parfois difficile de discerner l'un de l'autre. Ainsi en est il : l'espace qui sépare la vie de la mort est si réduit qu'il tient en un seul mot. Voilà pourquoi il convient toujours de s'armer de précautions avec eux - il en est au moins un qui porte en lui la mort""La vache beugle, pas très fort mais longuement, où es tu, lumière ? s'enquiert elle encore. Il n'y a pas de place pour beaucoup de pensées dans la tête d'une vache, tout juste quelques phrases répétées inlassablement, mais qui interrogent sur l'essentiel, leur voisinage est en général apaisant, la routine les rend heureuses et le bonheur est ce trésor que les hommes passent leur temps à chercher.""Parfois on voit la vie que lorsqu'on a le nez dessus, voilà pourquoi nous devrions nous garder de jamais juger les choses de trop loin""Il reste allongé pendant que les rêves s'évaporent de sa conscience et s'élèvent vers le ciel où les anges les lisent, espérons qu'ils ne le font qu'afin de se distraire et ne les consignent pas pour lui en donner lecture le jour suprême, ce qui en fâcherait plus d'un""Un livre... dont les mots ne restent pas immobiles sur la page, mais qui s'envolent et nous donnent des ailes, même s'il nous manque l'air pour voler"


lundi 1 novembre 2021
Léon l'africain


jeudi 21 octobre 2021
Un jour viendra
Dommage, ce roman de Giulia Caminito m'a laissée de glace. Je n'avais jamais eu de mauvaise surprise avec Gallmeister, je crois que j'en resterai aux romans américains.
Saga familiale en Italie, dans les Marches, à la fin du XIXe siècle. Dans une famille pauvre et crasseuse, où l'on respire de la farine à longueur de journée, deux frères n'ont rien en commun. Lupo et Nicola passent pourtant du temps ensemble, l'ainé protégeant le cadet, la brute empêchant le faible de faire quoi que ce soit qui le mette en danger. Autour d'eux, une famille décimée, un couvent, un village qui cache quelques secrets et des mouvements révolutionnaires. Lupo suit les traces de son grand-père dans l'agitation anarchique. Nicola se trouvera dans la Grande guerre. En parallèle, on suit les sœurs d'un couvent, surtout Clara, qui a été enlevée à son Soudan natal.
Un roman à l'écriture poussive, des personnages qui m'ont laissée indifférente, je n'y reviendrai pas !


jeudi 16 septembre 2021
Entre ciel et terre
"L'enfer, c'est d'être mort et de prendre conscience que vous n'avez pas accordé assez d'attention à la vie à l'époque où vous en aviez la possibilité."
"Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. Pourtant, à eux seuls, ils ne suffissent pas et nous nous égarons sur les landes désolées de la vie si nous n'avons rien d'autre que le bois d'un crayon auquel nous accrocher."
"Les yeux échappent à tout contrôle. Nous devons réfléchir où et quand nous les posons. L'ensemble de notre vie s'écoule à travers eux et ils peuvent aussi bien être des fusils que des notes de musique, un chant d'oiseau qu'un cri de guerre. Ils ont le pouvoir de nous dévoiler, de te sauver, te perdre. J'ai aperçu tes yeux et ma vie a changé. Ses yeux à elle m'effraient. Ses yeux à lui m'aspirent. Regarde-moi un peu, alors tout ira mieux et peut-être pourrai-je dormir. D'antiques histoires, probablement aussi vieilles que le monde, affirment que nul être vivant ne supporte de regarder Dieu dans les yeux car ils abritent la source de vie et le trou noir de la mort"
jeudi 2 septembre 2021
Les versets sataniques
Encore un livre qui sort de la PAL, youpi ! Et de 752 pages - pour le Pavé de l'été. Par contre, niveau plaisir de lecture, c'était assez inégal. Ce roman de Salman Rushdie est dense, passe souvent du coq à l'âne - enfin, d'un personnage à l'autre -, bourré de références que je n'avais pas forcément et surtout très long.
Tout commence par le crash d'un avion au-dessus de la Manche. Deux hommes, d'origine indienne, en réchappent après une interminable chute : Saladin Chamcha et Gibreel Farishta. Le premier est doubleur voix, le second est acteur. On découvre dans le roman, comment ils en sont arrivés là, depuis leur enfance indienne, jusqu'à leur carrière anglaise pour Chamcha, Bollywood pour Gibreel, leurs familles, leurs amours - compliquées pour l'un et l'autre avec tromperies et poursuites jusque dans les airs pour Gibreel.Mais surtout, l'un et l'autre vont rejouer une lutte éternelle entre bien et mal - pas par leurs actions ou existences mais plutôt par ce qu'ils semblent représenter : l'un est transformé en homme à pieds de boucs quand l'autre se voit entouré d'une nuée. Gibreel est d'ailleurs en proie à d'étranges rêves où il pourrait jouer un rôle d'ange annonciateur. On y croise un prophète, Mahound, et d'autres êtres inspirés.
Roman foisonnant, qui part parfois dans tous les sens, baroque, riche de sensations et de vie sous toutes ses formes, il déstabilise le lecteur à ses débuts. Où est-on ? Que se passe-t-il ? Qui sont ces gens ? Et puis, on tient des fils, des personnages, en proie à un monde complexe, à des questions politiques et religieuses, à des questions d'identité surtout. Indiens tous les deux, vivants en Angleterre, ils vivent le questionnement des exilés, entre rejet ou adhésion à sa culture d'origine, à sa famille...
Pas toujours très digeste et lecture assez lente, entrecoupée d'autres ouvrages, j'ai peiné sur les premier tiers du livre. Puis j'ai apprécié !
"Qui est-il? Un exilé. Terme qu'il ne faut pas confondre, pas mélanger, avec tous les autres mots que les gens emploient à tort et à travers: émigré, expatrié, réfugié, immigré, silence, ruse. L'exil est un rêve de retour glorieux. L'exil est une vision de la révolution: Elbe, pas Sainte-Hélène. C'est un paradoxe sans fin : regarder devant soi en regardant toujours derrière soi. L'exilé est une balle jetée très haut en l'air. Elle reste là, gelée dans le temps, transformée en photographie ; négation du mouvement, suspendu de façon impossible au-dessus de sa terre natale, l'exilé attend le moment inévitable où la photo doit se remettre en mouvement, et la terre réclamer son bien. Telles sont les choses qu'imagine l'Imam. Sa maison est un appartement en location. C'est une salle d'attente, une photo, de l'air.
L'épais papier mural, des rayures vert olive sur un fond couleur crème, a légèrement passé au soleil, suffisamment pour faire ressortir les rectangles et les ovales plus vifs qui indiquent les endroits où étaient accrochés des tableaux. L'Imam est l'ennemi des images. Quand il est entré les tableaux ont glissé sans bruit des murs et quitté la pièce furtivement, fuyant d'eux-mêmes la colère de sa muette désapprobation. Quelques images, cependant, ont eu le droit de rester. Sur la cheminée il conserve quelques cartes postales conventionnelles de son pays, qu'il appelle simplement Desh : une montagne qui se découpe au-dessus d'une ville ; une pittoresque scène villageoise sous un grand arbre ; une mosquée. Mais dans sa chambre, sur le mur qui fait face à la couchette dure où il se repose, est accrochée une icône plus puissante, le portrait d'une femme d'une force exceptionnelle, célèbre pour son profil de statue grecque et ses cheveux noirs aussi longs qu'elle est grande. Une femme puissante, son ennemie, son autre : il la garde près de lui. Exactement comme, là-bas dans les palais de son omnipotence elle garde son portrait à lui sous son manteau royal ou dissimulé dans le médaillon qu'elle porte autour du cou. C'est l'Impératrice, et son nom est - quoi d'autre? - Ayesha. Sur cette île, l'Imam exilé, et là-bas à Desh, Elle. Tous deux complotent la mort de l'autre.
Les rideaux, un épais velours doré, restent fermés toute la journée, sinon le mal pourrait se glisser dans l'appartement : l'étrange, l'Extérieur, la nation étrangère. Le fait douloureux qu'il se trouve ici et pas Là-bas, l'endroit qui mobilise toutes ses pensées. Dans les rares occasions où l'Imam sort prendre l'air de Kensington, au centre d'un carré formé par huit jeunes hommes portant des lunettes noires et des costumes où l'on distingue des bosses, il croise les mains devant lui et les fixe des yeux, pour qu'aucun élément, aucune particule de cette ville haïe - cette fosse d'iniquités qui l'humilie en lui offrant un refuge, ce qui l'oblige à un sentiment de reconnaissance malgré sa luxure, son avarice et sa vanité - ne puisse lui tomber, comme une poussière, dans l'œil. Quand il quittera cet exil détesté pour revenir triomphalement dans cette autre ville aux pieds de la montagne de carte postale, il dira avec fierté qu'il est resté dans l'ignorance totale de cette Sodome dans laquelle il a été obligé d'attendre ; ignorant, et par conséquent non souillé, non altéré, pur.Et une autre raison pour laquelle les rideaux restent fermés c'est bien sûr parce que les yeux et les oreilles qui l'entourent ne sont pas tous amicaux. Les immeubles orange ne sont pas neutres. Quelque part de l'autre côté de la rue il y a des téléobjectifs, du matériel vidéo, des micros hypersensibles; et toujours le risque des tireurs d'élite. Au-dessus et en dessous et à côté de l'Imam les appartements sont occupés par ses gardes, qui parcourent les rues de Kensington déguisés en femmes couvertes de voiles avec des becs d'argent ; mais on n'est jamais assez prudent. Pour l'exilé, la paranoïa est une condition préalable de survie.""L'exil est un pays sans âme. En exil les meubles sont laids, chers, tous achetés en même temps dans le même magasin et bien trop vite : des canapés argentés et brillants avec des accoudoirs comme des ailerons de vieilles Buick DeSoto Oldsmobile, des bibliothèques vitrées qui ne contiennent pas de livres mais des dossiers bourrés de coupures de presse. En exil quand quelqu'un tire de l'eau dans la cuisine la douche devient brûlante, aussi quand l'Imam prend son bain les membres de sa suite doivent se souvenir de ne pas remplir une bouilloire ni rincer une assiette sale, et quand l'Imam va aux toilettes ses disciples se sauvent de la douche brûlante. En exil on ne fait pas de cuisine ; les gardes du corps à lunettes noires vont acheter des plats à emporter. En exil toute tentative d'enracinement est vue comme une trahison : c'est un aveu d'échec.""Flottant sur un nuage, Gibreel pensa que le flou moral des Anglais venait de la météorologie. « Quand il ne fait pas plus chaud le jour que la nuit, raisonna-t-il, quand la lumière n'est pas plus claire que l'obscurité, quand la terre n'est pas plus sèche que la mer, alors il est évident que les gens perdent le pouvoir de faire des distinctions, et commencent à tout considérer – partis politiques partenaires sexuels croyances religieuses – comme du pareil-au-même, rien-à-choisir, à-prendre-ou-à-laisser. Quelle folie ! Car la vérité est extrême, elle est ainsi et pas autrement, c'est lui et pas elle ; il faut prendre parti, ne pas rester spectateur. En bref, la vérité est engagée."
vendredi 27 août 2021
La perversion ordinaire
Encore un livre prêté par un collègue, c'est chouette de faire circuler les lectures. C'est un essai de Jean-Pierre Lebrun sur le vivre ensemble, sur le rapport à autrui, à la perte ou à la limite.
L'auteur s'interroge sur les mutations de nos sociétés, sur leur complexité et leur confusion. Il pointe notamment une crise de la légitimité dans le domaine de l'éducation, le rapport aux enfants et au "non". Elargissant cette "crise de l'autorité" et du transcendantal à toute la société, il s'interroge sur les causes de celle-ci.
Il analyse d'abord le rapport au langage et à soi, compris comme manque, renonciation à la toute puissante et permettant la subjectivation psychique. Il est question de la négativité du langage, et de la condition humaine, capable d'appréhender la mort, le vide par rapport au plein, autrui par rapport à soi. Cette question, liée au sujet, il l'étend à la société. Les limites, le vide, l'autre ou la transcendance, nos sociétés actuelles tendent à les nier, voire à les effacer. Il montre alors combien cette absence de limites et d'autorité, revient à faire peser sur chacun des responsabilités et des choix personnels, ce qui est parfois plus complexe que de se reposer sur un cadre. C'est d'abord pour lui l'effet du positivisme et du discours sur les sciences qui laissent entendre que toutes les limites sont à repousser ; puis de la démocratie "démocratiste" qu'il définit comme une illusion d'autonomie, une impression de rien devoir au collectif ; et enfin du "néocapitalisme libéral" qui ne souffre pas de régulation. Il interroge la fin du patriarcat, comprise comme la fin de l'autorité et d'un tiers qui vient décoller, séparer mère et enfant. Il souligne l'importance de la complétude - tout le monde doit être d'accord par exemple - pour que quelque chose soit considéré légitime et la difficulté de cela - on ne peut finalement s'accorder que sur un petit dénominateur commun. Il décrit enfin ce qu'il appelle la "grande confusion", à savoir que ce qui fait différence, ce qui fait souffrance, ce qui fait tarder la jouissance est condamné, tout ce qui fait spécificité est mis en avant, mais aux dépens des autres et du collectif. Et pour éviter cette confrontation au manque ou à la perte - à la réalité -, c'est souvent la fuite en avant. Enfin, il conclut sur la possibilité de la psychanalyse avec ces néo-sujets, notamment sur la question du transfert.
Lecture intéressante, parfois complexe et questionnante : si nos sociétés ont effectivement évolué, est-on réellement dans ce "vivre sans autrui" qui brandit l'auteur ? Ce qui est décrit au niveau de l'individu et de la crise des légitimités est-il réellement à penser à un niveau sociétal ? Le référent psychanalytique est-il pertinent ici ? Je reste un peu sceptique par rapport à des rapprochements qui me semblent parfois lointains. Et intéressée si vous avez des lectures sur ces sujets qui peuvent éclairer ma réflexion.
"Reconnaître qu'il peut et doit exister des objectifs situés en tiers, qui transcendent les intérêts de chacun, ne va plus de soi. Il est donc devenu très difficile de pouvoir encore se référer spontanément à de tels objectifs"
"Pour être un sujet, il faut dire deux fois "Oui !" et une fois "Non !". Une première fois oui : en acceptant d'entrer dans le jeu du langage, d'être aliéné dans les mots de ceux qui nous précèdent. Une fois non : en prenant appui sur le manque dans l'Autre et en faisant objection à ce qui vient de l'Autre. Et une seconde fois oui : quand le sujet accepte ce qui lui vient de l'Autre pour le faire sien, et cela de son propre chef, en ayant eu la possibilité de s'en démarquer, et en étant prêt à assumer les conséquences du choix qu'il pose"

