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jeudi 28 avril 2022

Le parfum du temps

Je renoue, au hasard des rayons de la bibliothèque, avec Han Byung-Chul dont j'avais beaucoup apprécié La société de la fatigue. Encore une fois dans cet ouvrage, il est question du temps et du rythme comme l'indique son sous-titre "Essai philosophique sur l'art de s'attarder sur les choses".

Contemplant la société contemporaine, le philosophe s'interroge sur la frénésie de nos vies actives et la disparition de la vie contemplative. S'attardant sur la mémoire, les expériences marquantes qui laissent des traces ou des parfums dans nos histoires, il s'inquiète du séquençage et de l'éparpillement de nos vies. Il fait des détours par les horloges à encens chinoises, la madeleine et par Heidegger. Phrases claires, chapitres courts, c'est de la philo qui se lit bien et se comprend simplement. En voici quelques extraits :


"Faire des promesses, s'engager ou être fidèle, par exemple, sont de véritables pratiques temporelles. Ces actions engagent le futur dans la mesure où elles prolongent le présent dans le futur et qu'elles font s'entrecroiser ces deux temporalités"

"Le propos qui veut qu'accélérer sa vie permet de la maximiser induit en erreur. Si on y regarde de plus près, l'accélération se révèle être une agitation nerveuse qui fait vibrionner la vie d'une possibilité à l'autre. Elle ne trouve jamais la paix, c'est-à-dire une conclusion [...] Mais en réalité, il ne s'agit pas d'une véritable accélération de la vie. La vie n'a fait que devenir plus agitée, plus désordonnée, plus désorientée. Eparpillé, le temps ne déploie aucune force ordonnante. Aucun évènement décisif ou marquant n'apparait dans la vie. Le temps de la vie n'est plus découpé en périodes, achèvements, seuils et passages. On se hâte plutôt d'un présent à l'autre. On prend de l'âge sans devenir vieux. Finalement, on perd la vie à contretemps. C'est la raison pour laquelle il est aujourd'hui plus difficile que jamais de mourir"

"Le temps mythique est immobile comme une image. Le temps historique a en revanche la forme d'une ligne qui court ou fuit vers un but. Si la tension narrative ou téléologique de la ligne disparait , alors celle-ci se décompose en points qui vibrionnent sans but. La fin de l'histoire atomise le temps en temps discontinu. [...] L'histoire disparait désormais au profit des informations. Elles n'ont ni durée, ni ampleur narrative. Elles ne sont ni centrées, ni orientées."

"Comme le temps manque d'articulations fortes, on voit naître le sentiment que le temps passe plus vite qu'auparavant. Ce sentiment est renforcé par le fait que les événements se succèdent sans se graver profondément en nous, sans devenir des expériences"

"Si l'on s'oriente finalement vers un but, alors l'intervalle spatial jusqu'au point à atteindre n'est encore qu'un obstacle à surmonter au plus vite. Être orienté vers un but retire toute signification à l'espace intermédiaire. Il se retrouve vidé et devient un corridor sans aucune valeur propre. L'accélération c'est la tentative de faire complétement disparaitre le temps intermédiaire, ce temps nécessaire pour surmonter l'espace intermédiaire. La riche sémantique du chemin disparait"

"Aristote identifie trois types de vie (bioi) attribués à l'homme libre : la vie qui tend au désir (hedone), la vie qui produit la polis, des faits beaux et nobles (bios politikos), et la vie consacrée à la considération contemplative de la vérité (bios theoretikos). Ces trois types de vie sont dépourvus de besoins et de contraintes [...] Le travail est lié aux besoins vitaux. Il n'est pas une fin en soi mais un moyen, un moyen vital nécessaire et orienté vers la satisfaction de nos besoins. Il n'est donc pas digne d'un homme libre [...] L'homme n'est homme que lorsqu'il a du temps libre. A la base de cette acception antique du temps libre, se trouve une ébauche du Dasein impénétrable, voire même incompréhensible aux yeux des hommes d'aujourd'hui, au monde totalement absorbé par le travail, l'efficacité et la productivité. La culture antique du temps libre renvoie, d'un point de vue prospectif, au fait qu'un tout autre monde est possible, un monde où le caractère fondamental du Dasein humain n'est pas, comme chez Heidegger, le souci"

"L'Esclave est certes libéré de la domination du Maître mais c'est au prix d'une nouvelle domination : il devient esclave du travail. Le dispositif du travail englobe tout, le Maître comme l'Esclave. Ainsi nait une société du travail dans laquelle tout le monde est un esclave du travail, une société du travail. Tout doit être travail. Il n'existe aucun temps qui ne serait pas du travail"

"Faute de quiétude, notre civilisation aboutit à une nouvelle barbarie. A aucune époque, les hommes d'action, c'est-à-dire les agités, n'ont été plus estimés. L'une des corrections nécessaires qu'il faut entreprendre d'apporter au caractère de l'humanité sera d'en fortifier dans une large mesure l'élément contemplatif."

mercredi 19 octobre 2016

La Sociedad del Cansancio

Le philosophe coréen allemand Byung-Chul Han a vu les ventes de son petit ouvrage exploser à la publication. Enfin, pour un ouvrage de philo. Il ne fait certainement pas le même chiffre d'affaire que Dan Brown. Personnellement, je ne l'ai pas vu passer et ce n'est que maintenant que je le découvre. En espagnol qui plus est...

Remouleur, Malevitch

Il se compose des parties suivantes :

El Prometeo Cansado
La violencia Neuronal
Mas Alla de la Sociedad disciplinaria
El aburrimiento profundo
Vida activa
Pedagogia del Mirar
El Caso Bartleby
La sociedad del Cansancio


L'essai débute avec une analyse de ce qu'était la société du XXe siècle. L'auteur parle d'un processus immunologique c'est-à-dire de défense contre tout ce qui est étranger, à l'image de la Guerre Froide. Si tu n'es pas avec nous, c'est que tu es contre. Cette protection contre l'ennemi se lit dans tous les aspects de la société, qu'il s'agisse de l'histoire, du droit, de la médecine, etc. C'est une disposition tout à fait contraire à la globalisation, qui dresse des murs plutôt que des ponts. 
Ce procédé de "négativité" est aujourd'hui remplacé par la "positivité", qui au lieu de rejeter, inclut. Mais asphyxie par la saturation du semblable, du même. 

D'une société de la discipline et du devoir telle que la décrit Foucauld, on passe à une société du rendement et du pouvoir, du "Yes, we can". Une société qui produit des échecs aussi. Devant cette course au rendement, l'homme moderne se fatigue de chercher à devenir soi-même, de travailler et de s'exploiter librement... jusqu'à la dépression. Il se confronte à sa liberté obligatoire et à sa libre obligation de maximiser le rendement ! Au travail, bien sûr, qui devient l'unique absolu mais aussi dans ses loisirs. Pas question de ne rien faire, de s'ennuyer. De toute façon, il existe tellement de stimulus extérieurs que ce n'est même plus possible de ne rien faire. Et cette abondance de stimulus, qui va jusqu'à l'excès, n'est pas forcément preuve de progrès. C'est l'animal sauvage qui est tout le temps aux aguets, qui a besoin d'une attention fragmentée, pour veiller en même temps sur sa proie, sa femelle et ses prédateurs... et assurer sa survie. Au contraire, l'ennui pour notre auteur, est nécessaire pour sortir de la répétition et créer quelque chose de neuf. 
Cette déferlante d'activités va de pair avec l'éphémère... et conduit à un monde superficiel, qui manque d'être. Plus d'emphase, de colère, de passion... au milieu de cette dispersion. La pensée devient un simple calcul, comme celui des ordinateurs, mais ne conduit plus à une intériorité. Pour cela, il faudrait revaloriser la vie contemplative, l'ennui, le repos du dimanche, le sabbat où il est interdit d'agir, et peut-être la négativité, c'est à dire de fait de lutter contre quelque chose, de savoir dire non plutôt que de se noyer dans un relativisme et un égoïsme solitaire, étouffant et impuissant. 

Cet essai court mais puissant m'a beaucoup interrogée sur mon rapport au devoir et au travail, à cette nécessité de se réaliser à travers d'une activité économique. A cette valeur de notre société pour laquelle seul le succès compte et où l'épanouissement doit passer par le travail. J'ai noté toutes les pressions que l'on peut subir lorsqu'on n'a pas de boulot, de la part de la société mais aussi de soi-même. J'ai aussi questionné mon rapport à l'ennui, mon besoin de sortir mon téléphone ou mon bouquin dès qu'il faut patienter, mon impatience devant un jour sans activité prévue, mon besoin de faire quelque chose pour que la journée vaille quelque chose. Mais je connais aussi l'importance des moments de calme, le goût d'une retraite spirituelle au rythme d'une communauté religieuse. Et la valeur que ces pauses permettent de donner à toutes nos activités galopantes, qui, sans ce recul, passent semblables et stériles.