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lundi 31 octobre 2022

Ainsi soit-elle

Voilà des années que cet ouvrage de Benoîte Groult m'a été conseillé alors que je finissais le Deuxième sexe. J'en sors moins emballée que du bouquin de Simone mais j'ai tout de même été scandalisée par quelques trucs ! Ce n'est pas tout à fait le même ton, Benoîte sait être ironique et percutante, elle amène des exemples qui font froid dans le dos, elle est plus "humaine" dans son approche du sujet des inégalités hommes / femmes que Simone. Et parfois, elle s'emballe presque trop et sa lectrice en avait mal au cœur !


Mais l'ensemble reste très actuel, même plus de 50 ans après sa publication. Peut-être un peu moins en France, et encore, mais à l'international, aucun doute ! Considérer les femmes comme des êtres inférieurs, avec moins de droits (le témoignage de deux femmes valent celui d'un seul homme dans certains pays), une sexualité à brider (excision) et une maternité due (en France aussi quand vous n'avez pas d'enfant et êtes mariée depuis longtemps), c'est malheureusement encore très courant. A travers les différents sujets et époques, Benoîte Groult met au jour ces inégalités, les agite, les explique et demande du changement. 

Elle s'intéresse à tous les secteurs, politique, bien sûr, mais aussi personnel, ménager, esthétique, psychologique ou sexuel. 

Quelques citations choisies, attention à la récolte :

"J'aurais continué à esquisser un humble sourire de remerciement, résignée au fait que les auteurs à seins ne soient lus que par des lecteurs à seins. Et si dans un sursaut d'amour-propre, tout en maintenant mon sourire aimable car une femme doit rester charmante, j'avais ajouté : "Parce que vous, bien sûr, les livres de femmes ne vous intéressent pas ?" les maris en question auraient souri avec courtoisie en s'excusant de n'avoir de temps que pour les choses sérieuses. Ils lisent bien sûr, ces hommes-là, mais des livres d'hommes, des livres normaux, quoi ! Évidemment, mes livres à moi parlent d'amour. C'est un sujet si féminin... quand il est traité par une femme. Mais quand c'est Flaubert qui décrit l'amour, cela devient un sujet humain. Il n'existe pas de sujet masculin pour la raison irréfutable que la littérature masculine c'est LA littérature ! Quant à la littérature féminine, elle est à LA littérature ce que la musique militaire est à LA musique."
"Qu'est-ce qui leur prend, soudain, aux femmes ? Voilà qu'elles se mettent toutes à écrire des livres. Qu'ont-elles donc à dire de si important ? demandait récemment un hebdomadaire qui ne s'était jamais posé la question de savoir pourquoi les hommes écrivaient, eux, depuis deux mille ans et ce qui leur restait encore à dire !"
"Laisser une femme lire les livres que son esprit la porte à choisir, mais c'est lui apprendre à se passer de vous" - c'est Balzac qui écrit ça !
"La médecine est déconseillée « parce qu'elle réclame un équilibre nerveux qui n’est pas l’apanage des femmes et oblige à supporter des spectacles pénibles ». En revanche, la profession d’infirmière ou de sage-femme, qui ne présente aucun spectacle pénible comme chacun sait et qui est très reposante pour les nerfs, est vivement recommandée"

jeudi 25 août 2022

L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale

C'est le titre de ce livre de Ruwen Ogien qui m'a interpellée avant que je n'en connaisse le thème. Quand j'ai découvert qu'il s'agissait de philosophie morale et de dilemmes, j'ai encore plus eu envie de le lire. Et en commençant la lecture, j'ai été encore plus séduite parce qu'il n'y a pas de complexité dans la façon de traiter le sujet : c'est accessible et ça fait réfléchir, what else ?

A travers diverses expériences, l'auteur propose des choix à faire. Ces expériences de pensée inventées pour susciter la réflexion ont permis de questionner des personnes et leurs intuitions morales. A chaque chapitre, deux expériences sont décrites, souvent très proches. L'une semble souvent plus acceptable que l'autre. L'auteur se demande pourquoi, surtout si le résultat est identique. Par exemple, entre laisser mourir et tuer, le résultat est le même (mort de la personne) mais l'intention diffère. Et c'est là que ça devient parfois absurde dans les différents cas !

Outre les expériences, l'auteur nous introduit à des théories telles que le déontologisme (il y a des choses qu'on ne doit pas faire) ou le conséquentialisme (il faut faire en sorte qu'il y ait le plus de bien dans l'univers), ou l'arétisme (c'est la perfection morale personnelle qui compte). Il s'interroge sur la dignité humaine, le prix de la vie, le fait de traiter les personnes comme des moyens, sur la liberté humaine, sur les saints, sur ce qui se passerait si tout le monde en faisait autant ou sur la pente fatale (le fait d'accepter une action sur laquelle il y a un débat lié à la morale mène forcément à un résultat intolérable). 

Sur la bonté humaine et par exemple les Justes : peut-on dire que ce sont des personnes plus altruistes que les autres ? L'auteur relève que des facteurs ont favorisé ce comportement comme une demande directe ou une mise en responsabilité progressive.

Dans la seconde partie, l'auteur distingue les intuitions (ce que les gens répondent spontanément), la justification, l'interprétation par les psy ou les philosophes et les raisonnements moraux. Il invite à se méfier des interprétations. Il analyse ensuite quatre règles de raisonnement moral : 

- De ce qui est, on ne peut pas dériver ce qui doit être ou peut on dériver des normes de fait ? 
- Devoir implique pouvoir.
- Il faut traiter les cas similaires de façon similaire. Mais que veut dire similaire ?
- Il est inutile d'obliger les gens à faire ce qu'ils feront nécessairement d'eux-mêmes ; il est inutile d'interdire aux gens de faire ce qu'ils ne feront volontairement en aucun cas. Mais pourquoi tant de règles morales dans nos sociétés ?

Vous pouvez vous demander à quoi ça sert tout ça. Surtout qu'on n'a pas de solution à la fin ou de réponse : à chacun de se faire son avis, de réfléchir et sortir de l'intuition. Et à part se poser des questions sur des cas imaginaires, à s'interroger sur des questions plus concrètes autour de la bioéthique par exemple. Et à débusquer des manières d'argumenter qui relèvent de l'une ou l'autre théorie et peuvent abuser un auditeur. 


Quelques définitions et citations pour la route :

"Compatibilisme - Incompatibilisme : est-il possible de concilier ce que nous savons du comportement humain, soumis, comme tout ce qui appartient au monde naturel, à des forces qui leur échappent, et notre tendance à les juger comme s'ils étaient libres et responsables de leurs actes ? Comment faisons nous pour rendre compatibles ces deux idées contradictoires : nous sommes libres et en même temps soumis au déterminisme de la nature ?"

"Conséquentialisme : ce qui compte moralement [...] faire en sorte qu'il y ait, au total, le plus de bien ou le moins de mal possible dans l'univers. [...] Le conséquentialisme n'impose cependant aucune définition du bien."

"Déontologisme : il existe des contraintes absolues sur nos actions, des choses qu'on ne devrait jamais faire."

"Doctrine du double effet : Cette doctrine morale, dont on attribue la mise en forme à Thomas d'Aquin, désigne deux effets, l'un bon et l'autre mauvais, d'une action qui, prise en elle-même, est bonne, ou ni bonne ni mauvaise. L'un de ces effets est bon. C'est celui sui est visé par l'action, voulu par ses auteurs. L'autre est mauvais. Il est prévu par les auteurs de l'action. C'est un "effet collatéral" inévitable. [...] Ce genre d'action à deux effets est moralement permis à ces conditions (le mauvais effet n'est pas visé, ce n'est pas un moyen), auxquelles il faut ajouter que le tort causé n'est pas disproportionné."

"Internalisme - Externalisme : L'internalisme du jugement affirme qu'un jugement moral authentique est nécessairement accompagné d'une certaine motivation à agir conformément à ses exigences. [...] L'externaliste rejette l'idée qu'il existe un lien nécessaire entre nos jugements moraux et la motivation. Pour lui, la phrase "Je sais que c'est bien, mais je n'ai aucune envie de le faire" est parfaitement intelligible." 

"Utilitarisme : ce qu'il faut faire pour l'utilitarisme c'est œuvrer au plus grand plaisir (ou au plus grand bien être ou à la satisfaction des préférences) du plus grand nombre. Cet objectif peut être visé de deux façons :
- Ou bien en évaluant par un calcul la contribution de chaque acte à la promotion du plus grand bien pour le plus grand nombre (utilitarisme des actes)
- Ou bien en suivant, sans calcul, certaines règles générales comme "ne pas torturer", "ne pas mentir" dont on a toute les raisons de penser que, si tout le monde les suivait, on contribuerait à la promotion du plus grand bien pour le plus grand nombre (utilitarisme des règles)."

"Dans la tradition philosophique, on juge la valeur morale d’un acte à ses intentions. Mais certaines études expérimentales montrent que, spontanément, nous jugeons les intentions à la valeur morale des actions. Plus précisément, notre tendance à juger qu’une personne agit intentionnellement sera plus forte si les résultats de son action sont mauvais, et plus faible si les résultats de son action sont bons."

lundi 15 août 2022

Oublier le bien, nommer le mal

Cet ouvrage de Laurence Hansen-Love est sur ma LAL depuis sa parution. Ses interrogations sur le bien et le mal m'intéressaient mais j'avais peur d'un ouvrage très théorique. J'ai eu la joie de découvrir un livre accessible, ancré dans la réalité, qui fait réfléchir : triptyque gagnant ! 

"Agis toujours de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien en ta propre personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais seulement comme un moyen" Kant

Le bien et le mal, en tant qu'opposés, sont-ils pour autant symétriques ? C'est intuitivement ce qu'on croit et pourtant, ce n'est peut-être pas si binaire. Certes, Platon nous parle des indissociables kaloskagathoi (les beaux et bons), Adam et Eve d'un arbre qui les contiennent, et quelques autres ont pu nous renforcer dans cette apparente symétrie. 
"Dans un cœur envahi par le mal, elle préserve un bastion du bien. Dans le meilleur des cœurs, un coin d'où le mal n'a pas été déraciné." Alexandre Soljenitsyne

Pourtant, le bien ne connait-il pas une multitude d'acceptions ? N'est-il pas souvent un objectif idéal plus qu'une réalité ? Imaginer le mal de cette même façon serait nier les crimes et souffrances infligées par des hommes à d'autres, nier une partie de l'histoire et de la réalité. Laurence Hansen-Love fait un détour par le nazisme et le "suicide" de l'Allemagne. Elle note aussi que sous prétexte de lutter contre une "barbarie", quelle qu'elle soit, on oublie souvent les droits humains dont on se réclame. S'interrogeant sur les valeurs morales, sur le relativisme, sur le témoignage, l'auteure parcourt les siècles jusqu'à aujourd'hui et préconise de 
"nommer les crimes (option juridique), témoigner (c'est la tache des journalistes et des écrivains, ne pas craindre la contagion du mal (pour le citoyen lambda, en tant que destinataire de ces témoignages) et ne pas se laisser intimider (pour tout le monde)."



Composition de l'ouvrage :

1. Le mal n'est pas l'absence de bien
2. Seule la pierre est innocente
3. "Le mal c'est bien", ou l'inversion des normes
4. "Le devoir d'exterminer"
5. Oublier le bien
6. L'impasse relativiste
7. Le fait du mal
Conclusion : nommer le mal

"Le Mal désigne une réalité, ou, sans doute, plus exactement, le dénominateur commun d'un certain nombre de réalités, tandis que le Bien renvoie à un objectif hypothétique, à un idéal régulateur (Kant), dont l'unification et la définition sont pour le moins problématiques"
"Les méchants ne "pensent" pas, en ce sens que, incapables de se mettre à la place des autres, ils s'abstiennent de chercher à comprendre quels sentiments les autres peuvent éprouver [...] La méchanceté n'est donc pas la volonté du mal, elle n'est rien d'autre, plus trivialement, que le négatif de la bonne volonté. Consentement à l'indifférence, au mépris ou à la haine, la méchanceté ne serait donc que "l'amour à l'envers""
"Pourvu d'un cerveau surdimensionné et d'une intelligence hors-norme, Homo sapiens sapiens détient, de facto, « le privilège douteux d'être l'espèce la plus meurtrière des annales de la biologie ». Paradoxe qui n'en est pas un si, renchérissant sur Descartes, nous considérons que la « liberté d'indifférence » (choisir le pire parce que c'est le pire, en toute conscience) et non pas « le plus bas degré de la liberté » mais sa manifestation la plus « positive ». Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle témoigne d'une aptitude spécifiquement humaine, celle de poser librement nos propres valeurs, ce qui implique de commencer par rejeter celles de notre entourage - insoumission et sédition qui nous arrachent à notre condition animale originelle. […] L'inversion des normes témoignerait tout au contraire d'une conscience morale exacerbée, autrement dit d'un désir d'humanité poussé jusqu'à ses plus extrêmes conséquences"
"Toute « politique » commence par la désignation de l'ennemi, comme l'explique un autre grand théoricien du nazisme, le juriste Carl Schmitt: cet être maléfique, ce sera donc aussi, et même ce sera d'abord, le représentant de la contre-nature, véritable principe de mort dirigée contre Soi, qui toujours se cache, empruntant les traits d'un rival faussement semblable… La résultante prévisible d'une telle fabrication paranoïaque de l'altérité est l'obligation quasi « morale » d'éliminer l'ennemi"
"Dans le cas de l'Allemagne des années 30 le sentiment intolérable d'être perçus, de facto, et par le monde entier, comme des perdants, et de devoir l'assumer, ne put être compensé que par une fuite en avant dans la mégalomanie. Les nazis en vinrent ainsi à nourrir le fantasme hypnotique de dominer le monde. Or, c'est ce qui est le plus frappant, dans le cas du nazisme comme dans celui de l'extrémisme islamiste, plus le projet est voué à l'échec, plus le fanatisme avec lequel il l’épouse s'exacerbe"
"Aussi longtemps que chaque camp prétendra lutter contre « l'Empire du Mal » tout en incarnant le parti du Bien, il faudra assumer - comme nous y invitent les auteurs évoqués ici - notre part de responsabilité dans ce mouvement réciproque de diabolisation qui reconduit un conflit sans nom (ce n'est pas une « guerre » au sens habituel de ce terme) ainsi qu'une violence sans fin […] Nous devrions peut-être cesser de considérer que combattre le mal, et ceci par n'importe quel moyen, c'est forcément « bien » : nous ne pouvons plus ignorer que c'est toujours et partout au nom du Bien que les hommes liquident leurs semblables"
"Il y a une multiplicité de "biens" - tels que, par exemple, la santé, l'honneur, la puissante, la vertu ou la sagacité - et, selon les prédilections des uns et es autres, différentes éthiques entreront donc inévitablement en concurrence. L'idée de Bien suprême, ou de Souverain Bien, est non seulement vaine : elle est trompeuse"
"Bien loin de désirer les choses parce qu'elles sont bonnes, nous ne les jugeons bonnes que parce que nous les désirons!"
"Nos représentants ne se règlent pas nécessairement sur ce qui est bien, ni sur ce qui est bon, ni sur ce qui est juste, pas même peut-être sur ce que devrait prononcer une "volonté générale" soucieuse de respecter prioritairement une constitution républicaine et les droits humains universels"
"Il existe une autre manière d'assumer les difficultés que pose la société multiculturelle, tout en évitant l'écueil du relativisme radical. Elle consiste tout simplement à distinguer l'éthique (la représentation de la vie bonne) et la morale qui, sans se prononcer sur le sens et les finalités de l'existence belle et bonne, impose pourtant à tous des obligations selon Dworkin : "Tandis que l'éthique désigne les convictions à propos des sortes de vie qu'il est bon ou mauvais de mener, la morale renvoie aux principes qui guident la manière dont toute personne doit se comporter avec les autres". Plusieurs éthiques donc, mais une seule morale pour une société certes tolérante, mais non pas disposée à tolérer... l'intolérable"

"Le relativisme moral s'auto-réfute. Il conduit en effet à renoncer non pas seulement à tel ou tel système particulier de normes morales, mais à toute appréciation d'ordre éthique (« ceci vaut mieux que cela », «  ceci est cruel, insupportable »), puisqu'il impose à ses partisans de s'abstenir de porter un jugement de valeur quel qu'il soit, y compris sur ce relativisme lui-même"
"Il y aurait dans le mal un phénomène énigmatique, irréductible et indicible […] Seuls les mythes et les formations symboliques peuvent éventuellement tenter d'en rendre compte, quoique de façon détournée et circonspecte, car si ce « super diable » a été vaincu, il est loin d'avoir été liquidé. Or, ceux qui sont possédés par le Mal finissent toujours par le transmettre aux autres."
"Quelles que soient nos orientations morales, nous pouvons nous accorder sur le fait que l'extrême individualisme et l'indifférence au sort de nos semblables, qui sont des traits marquants de notre époque, en particulier dans les sociétés les plus « avancées », sont préoccupants. Cet aspect de notre culture démocratique, anomique et tolérante suscite d'ailleurs un violent rejet de la part de tous ceux qui en sont éloignés, ou qui s'en sentent, à tort ou à raison, rejetés ou exclus"

lundi 18 juillet 2022

La langue géniale

Certains d'entre vous le savent peut-être, j'ai étudié et adoré le grec ! D'abord, les mythes et les personnages soumis aux dieux et à leurs passions, puis la littérature avec la langue et la philosophie. C'est donc avec plaisir que je me suis plongée dans cet ouvrage d'Andrea Marcolongo. Loin d'être un simple essai sur cette langue, c'est une déclaration d'amour.

On la suit d'abord dans les conjugaisons et la notion de temps. On ira jusqu'à l'optatif. Il y a de drôles de temps en grec, comme l'aoriste par exemple. Et il y a des aspects qui qualifient l'action. A partir d'exemples, souvent assez humoristiques, et d'extraits de textes grecs, on rentre dans la complexité et l'unicité de la langue.

On parle ensuite - avec la prononciation, perdue. Mais des petits indices restent dans l'écriture avec les esprits et les accents. Un détour par la poésie nous fait rêver de récitations. 

Puis, le lecteur découvre les genres et nombres notamment le neutre et le duel. Puis les cas et les fameuses déclinaisons.  

On sort ensuite de ces questions grammaticales pour rentrer dans la traduction, cette inévitable trahison, et les nombreuses façons de traduire. Rassurez-vous, c'est possible ! Enfin, on termine, et c'est étonnant, par un chapitre sur la langue, ses origines, la façon dont elle s'est fixée tout en continuant sous d'autres formes ailleurs qu'à Athènes.

Un joli voyage dans la grammaire grecque !




lundi 23 mai 2022

Travail social… le grand malentendu

Cet ouvrage d’Eric Kérimel de Kerveno, je l'ai croisé au boulot et il m'a bien plu ! Il y est question de travail social, avec une voix originale et ferme. Au fil des histoires et des rencontres, un engagement se lit, au service des plus méprisés : drogués, prostituées, alcooliques, etc. Le chemin de l'auteur : reconnaitre l'humain dans l'autre, lui permettre de redécouvrir ses capacités, de s'en emparer.

Il y est question de sujets personnels tels que la juste distance et l'engagement. Il y est question de sujets plus politiques autour des priorités sociales et de la façon d'exercer le travail social, notamment les fameux projets pour lesquels trouver des budgets relève du défi si elles innovent un tant soit peu.  

Le plus marquant : rappeler simplement de traiter les personnes comme des adultes, dignement.



samedi 21 mai 2022

50 idées reçues sur l'agriculture et l'alimentation

Cet ouvrage de Marc Dufumier s'organise à partir de 50 questions ou idées reçues. Une réponse est développée pour chacune sur une à quatre pages. Cela donne un petit ouvrage facile à lire et informatif sur des questions qui traitent de l'avenir de notre alimentation. 


Il est question des aliments et de leur production, des effets sur la santé, le climat, la terre. L'industrie agroalimentaire est critiquée ainsi que la mondialisation des prix des produits agricoles. Il y a des infos sur le bio, les semences ou encore la vie à la campagne. Une mine d'infos ! 



jeudi 28 avril 2022

Le parfum du temps

Je renoue, au hasard des rayons de la bibliothèque, avec Han Byung-Chul dont j'avais beaucoup apprécié La société de la fatigue. Encore une fois dans cet ouvrage, il est question du temps et du rythme comme l'indique son sous-titre "Essai philosophique sur l'art de s'attarder sur les choses".

Contemplant la société contemporaine, le philosophe s'interroge sur la frénésie de nos vies actives et la disparition de la vie contemplative. S'attardant sur la mémoire, les expériences marquantes qui laissent des traces ou des parfums dans nos histoires, il s'inquiète du séquençage et de l'éparpillement de nos vies. Il fait des détours par les horloges à encens chinoises, la madeleine et par Heidegger. Phrases claires, chapitres courts, c'est de la philo qui se lit bien et se comprend simplement. En voici quelques extraits :


"Faire des promesses, s'engager ou être fidèle, par exemple, sont de véritables pratiques temporelles. Ces actions engagent le futur dans la mesure où elles prolongent le présent dans le futur et qu'elles font s'entrecroiser ces deux temporalités"

"Le propos qui veut qu'accélérer sa vie permet de la maximiser induit en erreur. Si on y regarde de plus près, l'accélération se révèle être une agitation nerveuse qui fait vibrionner la vie d'une possibilité à l'autre. Elle ne trouve jamais la paix, c'est-à-dire une conclusion [...] Mais en réalité, il ne s'agit pas d'une véritable accélération de la vie. La vie n'a fait que devenir plus agitée, plus désordonnée, plus désorientée. Eparpillé, le temps ne déploie aucune force ordonnante. Aucun évènement décisif ou marquant n'apparait dans la vie. Le temps de la vie n'est plus découpé en périodes, achèvements, seuils et passages. On se hâte plutôt d'un présent à l'autre. On prend de l'âge sans devenir vieux. Finalement, on perd la vie à contretemps. C'est la raison pour laquelle il est aujourd'hui plus difficile que jamais de mourir"

"Le temps mythique est immobile comme une image. Le temps historique a en revanche la forme d'une ligne qui court ou fuit vers un but. Si la tension narrative ou téléologique de la ligne disparait , alors celle-ci se décompose en points qui vibrionnent sans but. La fin de l'histoire atomise le temps en temps discontinu. [...] L'histoire disparait désormais au profit des informations. Elles n'ont ni durée, ni ampleur narrative. Elles ne sont ni centrées, ni orientées."

"Comme le temps manque d'articulations fortes, on voit naître le sentiment que le temps passe plus vite qu'auparavant. Ce sentiment est renforcé par le fait que les événements se succèdent sans se graver profondément en nous, sans devenir des expériences"

"Si l'on s'oriente finalement vers un but, alors l'intervalle spatial jusqu'au point à atteindre n'est encore qu'un obstacle à surmonter au plus vite. Être orienté vers un but retire toute signification à l'espace intermédiaire. Il se retrouve vidé et devient un corridor sans aucune valeur propre. L'accélération c'est la tentative de faire complétement disparaitre le temps intermédiaire, ce temps nécessaire pour surmonter l'espace intermédiaire. La riche sémantique du chemin disparait"

"Aristote identifie trois types de vie (bioi) attribués à l'homme libre : la vie qui tend au désir (hedone), la vie qui produit la polis, des faits beaux et nobles (bios politikos), et la vie consacrée à la considération contemplative de la vérité (bios theoretikos). Ces trois types de vie sont dépourvus de besoins et de contraintes [...] Le travail est lié aux besoins vitaux. Il n'est pas une fin en soi mais un moyen, un moyen vital nécessaire et orienté vers la satisfaction de nos besoins. Il n'est donc pas digne d'un homme libre [...] L'homme n'est homme que lorsqu'il a du temps libre. A la base de cette acception antique du temps libre, se trouve une ébauche du Dasein impénétrable, voire même incompréhensible aux yeux des hommes d'aujourd'hui, au monde totalement absorbé par le travail, l'efficacité et la productivité. La culture antique du temps libre renvoie, d'un point de vue prospectif, au fait qu'un tout autre monde est possible, un monde où le caractère fondamental du Dasein humain n'est pas, comme chez Heidegger, le souci"

"L'Esclave est certes libéré de la domination du Maître mais c'est au prix d'une nouvelle domination : il devient esclave du travail. Le dispositif du travail englobe tout, le Maître comme l'Esclave. Ainsi nait une société du travail dans laquelle tout le monde est un esclave du travail, une société du travail. Tout doit être travail. Il n'existe aucun temps qui ne serait pas du travail"

"Faute de quiétude, notre civilisation aboutit à une nouvelle barbarie. A aucune époque, les hommes d'action, c'est-à-dire les agités, n'ont été plus estimés. L'une des corrections nécessaires qu'il faut entreprendre d'apporter au caractère de l'humanité sera d'en fortifier dans une large mesure l'élément contemplatif."

vendredi 22 avril 2022

L'inconnu de la poste

Ma découverte de Florence Aubenas m'avait beaucoup plu ! Cette nouvelle lecture, croisée à la bibliothèque, n'a pas résisté longtemps. Il s'agit d'une enquête de la journaliste sur un fait divers : l'assassinat d'une jeune postière, Catherine Burgod, dans un village de l'Ain. Rapidement, Thomassin, un marginal qui vit juste en face est suspecté. Star camée, acteur voyou, jouant toujours un rôle, ancien de la DDASS, il est le coupable idéal. 

La journaliste épluche le dossier, retrace les faits jusqu'à la disparition de Thomassin. Très documenté, précis, l'ouvrage dresse un portrait complexe des différents protagonistes. Un livre qui se lit comme un thriller, qui inquiète sur la justice française et sur la vindicte populaire. 



jeudi 21 avril 2022

Le Croisement des savoirs

Quand le Quart Monde et l'Université pensent ensemble dit le sous-titre. Ecrit par le groupe de recherche Quart Monde - Université, il réunit cinq mémoires de recherches écrits par des membres d'ATD et des universitaires sur les sujets suivants : l'histoire, la famille, les savoirs, le travail et la citoyenneté.  

Ce qui est surtout intéressant, outre le contenu des mémoires, c'est surtout la méthodologie inventée. Il s'agissait de vérifier constamment la compréhension entre les différents groupes, de partir des questions des personnes pour élaborer les problématiques et de construire toute la recherche ensemble. Parmi les ressources utilisées, beaucoup d'interviews, mais aussi des auditions et des fiches de recherche. Ce que je trouve le plus remarquable c'est que tout, jusqu'à l'écriture, s'est fait ensemble. C'est un travail qui a duré deux ans.

Parmi les questions récurrentes de l'ouvrage, il y a celle de qui peut parler de quoi, celui qui a vécu la misère, celui qui l'a étudiée ? Question qui devient d'autant plus concrète dans la question de la citoyenneté et de la représentation. C'est aussi un ouvrage qui permet de découvrir la réalité d'une population précaire et négligée, les violences sociales que lui imposent les travailleurs sociaux etc. L'ensemble est suivi des avis d'un conseil scientifique sur les différents travaux qui là aussi donne un éclairage intéressant sur les questions traitées. 

"Etre privé des droits de l'homme, c'est d'abord et avant tout être privé d'une place dans le monde qui rende les opinions signifiantes et les actions efficaces. Quelque chose de bien plus fondamental que la liberté et la justice, qui sont des droits du citoyens, est en jeu lorsque appartenir à la communauté dans laquelle on est né ne va pas de soi. Les gens que l'on prive des droits de l'homme ne perdent pas le droit à  la liberté, mais le droit d'agir ; ils ne perdent pas le droit de penser à leur guise, mais le droit d'avoir une opinion"

 

lundi 18 avril 2022

Les passeurs de livres de Daraya

Encore une sortie de LAL ancienne, à l'occasion d'un séjour chez une copine qui possédait ce livre dans sa bibliothèque. J'avais noté ce livre de Delphine Minoui dès sa sortie : je trouvais ça incroyable cette histoire de bibliothèque secrète dans un quartier dévasté par la guerre. En fait, ce livre est bien plus que cela.

Etablie à Istanbul, la journaliste s'intéresse à l'actualité syrienne. Le pays est dévasté par la guerre entre les bombardements de Bachar et la résistance des quartiers rebelles. Dans celui de Daraya, de jeunes hommes décident de sauver les livres et de constituer une bibliothèque. Dans un quotidien rythmé par les bombes, la recherche de moyens de survivre et de poursuivre l'opposition au régime, cela pourrait sembler une drôle de lubie. Et pourtant, c'est bien plus que cela : lieu de rencontre, de découverte, de liberté, la bibliothèque fonctionne à plein régime. Il y a des effets de mode autour de livres de développement personnel. Il y a des conférences. Une vie culturelle s'organise. En parallèle, on découvre la vie de ces combattants, ceux qui filment pour témoigner, ceux qui se battent, ceux qui meurent. 

Un témoignage fort, ancré dans l'actualité et la politique, avec les manœuvres russes et américaines en arrière-plan.  



lundi 4 avril 2022

Dieu, ma mère et moi

C'est la première fois que je lisais Franz-Olivier Giesbert. Et je le découvre par l'autobiographie, se présentant à travers sa foi et sa philosophie. Au centre, la mère, figure catholique et pragmatique. Et lui se construit avec elle. C'est léger et profond, c'est brouillon mais pas désagréable à lire.

"Dieu, c'est quelque chose qui nous dépasse. L'Eglise a essayé de le mettre dans un cadre où il n'entre pas. Dès qu'on essaie d'être précis et de le réduire à des mots, on devient risible et pathétique. Sur ce plan, il n'y a pas une religion pour racheter l'autre"

"Les preuves de l'existence de Dieu, il suffit de se baisser pour les ramasser. Ou bien de lever les yeux et de regarder le ciel. Certes, j'en conviens, surtout à la campagne. L'urbanisation galopante, avec ses rocades, ses barres de bétons et ses centres commerciaux, n'est pas propice aux crises mystiques [...] On dirait que la société moderne s'échine à effacer les preuves de l'existence de Dieu. Un travail de sape méthodique qui est en train de nous faire tout perdre. L'humilité, l'amour de la nature et l'esprit d'enfance"

"Je ne connais pas de meilleure définition de la joie que celle de Simone Weil : "En toute chose, seul ce qui nous vient du dehors, gratuitement, par surprise, comme un don du sort, sans que nous l'ayons cherché, est joie pure""





mercredi 16 février 2022

Faut-il lâcher prise ?

C'est une collègue qui m'a prêté ce court ouvrage de Robert Scholtus. Le lâcher prise est à la mode, vous l'avez sans doute remarqué. Mais de quoi s'agit-il exactement ? Et est-ce réellement une bonne idée de lâcher prise ? A travers un parcours dans la tradition chrétienne, le théologien nous invite à une autre forme de confiance, entre volontarisme et abandon. 

Lâcher prise, surfer sur la vague d'une société liquide, n'est-ce pas consacrer une démission ou n'est-ce pas parfois juste se lâcher, sans penser qu'il s'agit d'indifférence à l'autre ? N'est-ce pas une défaite que de renoncer à des idées, à des engagements même si la mode est à l'éternel présent ? 

Petit détour par le volontarisme et ses excès, par le mouvement et l'hyperactivité si intense que seule la démobilisation ou le retrait de la course puissent y répondre. Puis on en vient à l'abandon, à l'abandon à Dieu, qui lui aussi peut-être si excessif à vouloir détruire le moi, détruire l'amour propre et la volonté, voire le désir qu'il conduit à une "âme morte". C'est finalement par Thérèse de Lisieux et Charles de Foucauld que l'on commence à s'approcher d'une autre forme de lâcher prise, l'acceptation de son humanité, la confiance et la reconnaissance que chacun a besoin des autres, ne se suffit pas à lui-même. C'est là qu'on commence à parler d'amour et d'abandon dans l'amour, par amour :

"Il faut aimer pour s'abandonner, tout comme il faut s'abandonner pour aimer"
Il est question d'abandonner ses armes, comme Jacob devant l'Ange, sans renoncer à combattre, entre résistance et soumission. De se rendre disponible à un Dieu qui s'est anéanti par amour. 
Une autre façon de vivre avec les autres plus libre et plus aimant ?

"Crois en Dieu comme si tout le cours des choses dépendait de toi, en rien de Dieu. Cependant mets tout en œuvre en elles, comme si rien ne devait être fait par toi, et tout par Dieu seul."

"Il manquera toujours au lâcher prise tel qu'il se comprend aujourd'hui de se renoncer lui-même comme volonté et comme méthode pour n'être plus que cette joyeuse disponibilité à laquelle Dieu nous abandonne"

"Ce m'est tout un que je vive ou je meure,
Il me suffit que l'amour me demeure"


mercredi 12 janvier 2022

L'ennéagramme, un chemin de vie

Je continue de me documenter sur l'ennéagramme, cet outil de connaissance de soi et des autres. Ce que j'ai apprécié avec l'essai de Marielle Bradel, c'est son côté complet et son intérêt pour l'évolution des personnes.

L'ennéagramme, c'est 9 types de personnalités construites à partir d'un évitement pendant l'enfance. Cela a amené l'adulte à se construire de façon à éviter des situations qui lui provoquent trop de souffrance. A partir de cette croyance initiale, souvent inconsciente, les personnes développent des comportements particuliers. Les évitements initiaux sont les suivants : la colère, considérer ses besoins, l'échec, la banalité, le vide intérieur, la transgression, la souffrance, la faiblesse et le conflit. 

Dans cet ouvrage, les neufs types sont expliqués avec leurs points forts et faibles, leur source d'énergie et leur façon d'être en situation d'intégration (quand tout va bien) ou de désintégration (sous stress ou quand tout va mal). Au-delà de l'aspect descriptif, des conseils sont donnés pour identifier son type et surtout l'apprivoiser ! 

Une bonne façon d'aborder le sujet de façon globale et profonde, malgré des répétitions, pédagogiques certes, mais un peu lassantes. 

lundi 3 janvier 2022

Ce que j'aurais aimé savoir avant de me marier

Ce court livre de Gary Chapman doit être proposé dans toutes les préparations au mariage... Bon, on l'a découvert un peu tard mais il reste intéressant pour continuer à échanger en couple sur les besoins de chacun. Chaque chapitre, assez court, s'intéresse à un aspect de la vie en couple, avec des exemples et pas mal d'humour. Il se termine systématiquement par des questions à se poser.

Au programme : le sentiment amoureux et les étapes de l'amour, les disputes, le rapport à la famille, la vie quotidienne et les tâches ménagères, l'argent, la sexualité, les caractères et la vie spirituelle. Oui, ça fait pas mal de sujets ! Si on apprend pas grand chose, on rigole bien devant certains exemples (ou certaines traductions, notamment "l'époque des fréquentations") et on discute avec son amoureux. C'est pas si mal !



jeudi 18 novembre 2021

Le sens des limites

Voici un bel essai de Roger-Pol Droit et Monique Atlan ! Facile à lire, intelligent, il invite à la nuance et à la juste définition des limites. Un joli moyen de réfléchir en cette année électorale.  

La limite, entre son effacement et son affirmation, deux clans se font face. Et pourtant, la science des limites n'est pas exacte si elle est lue comme un camp contre un autre, comme quelque chose de figer, à détruire ou à renforcer. Face aux dialogues de sourds qui agitent notre société, le philosophe et la journaliste cherchent d'autres chemins.

La première partie décrit les deux courants, celui de l'effacement des limites dans un grand tout indistinct et du durcissement intransigeant. Homo illimitatus contre homo limitans. Alors, pour mieux comprendre ce qu'est la limite, on fait un peu d'étymologie et d'histoire. On découvre la proximité entre limite et passage. On s'aperçoit que les bornes peuvent être déplacées, à mesure qu'un cadastre ou que les connaissances changent. Et les limites franchies, c'est aussi le progrès. Mais la fin des limites, c'est aussi l'impensable, l'innommable. De l'Antiquité à nos jours, de la limite sociale à la limite morale, avec le basculement des temps modernes, c'est une rapide histoire des limites qui est dressée. Un temps particulier est pris sur l'ère de l'effacement, dû à un excès ou à un manque de désir, selon les hypothèses des auteurs. Après cet état des lieux, 10 variations sur les limites proposent une autre voie que l'affrontement binaire.

- La limite sépare et unit

"Exister, parler, connaitre, juger supposent toujours de séparer, de sortir de l'indéterminé, du brouillard de la confusion, du magma des éléments mêlés"

"Il faut, pour maintenir le droit à l'exception, à la singularité, donc à l'altérité, repartir de la séparation en tant que fondement et principe"

- La limite permet la pensée

"Socrate, parmi les premiers, a fait de la "coupure en deux", la dichotomie, un usage méthodique [...] l'instauration d'une suite de limites lui sert d'instrument central pour avancer, jusqu'à la spécification ultime"

"C'est ce qu'on peut dire qui délimite et organise ce qu'on peut penser"

- Toute limite est "limite de"

"Au premier regard, plus s'amplifie notre savoir, plus diminue notre ignorance [...] Cette évidence masque pourtant une autre proposition, un autre mouvement de la limite selon lequel plus le savoir s'accroit, plus l'ignorance augmente [...] Cette fois, ce n'est pas l'absence de toute connaissance, mais la prise de conscience toujours plus aigue des lacunes qui émerge de l'avancée du savoir elle-même"

- La limite n'est pas une ligne mais un espace

- La limite est un filtre

- La limite est à la fois déterminée et indéterminée

La limite comme "interface, où la possibilité de faire sens se joue en permanence, avec comme dans tout jeu, insuffisamment pris en compte, une part irréductible d'indéterminé" 

- La limite est dans le temps, continue et discontinue

Elle est temporelle, pas éternelle, et déplacer les limites doit être pensé dans le temps, graduellement.

- La limite est négociation

Elle est définie par les parties en présence.

- La limite interdit et protège

Pour une structuration et une organisation commune du monde.

- La limite est un horizon, elle inclut l'infini

"L'horizon "en nous" devient ainsi figure de la limite qui ferme et ouvre l'espace et le regard, sépare et réunit terre et ciel, fini et infini"

Un très bel essai, qui donne à penser !


"Les limites agacent et rassurent, protègent et inquiètent. Elles remplissent des fonctions opposées, suscitent des sentiments contraires. Mais jamais l'indifférence ou l'unanimisme"

"Dans la violence de l'hubris, figure souvent une part d'humiliation de l'autre, un mépris envers une victime [...] la démesure multiforme de l'hubris débouche donc constamment sur la négation de l'existence des autres. La limite constituée par leur présence, leur corps, leurs droits est annulée"

"L'idée de progrès suppose un avenir ouvert, indéfini, à construire. Cette notion implique à son tour une échelle de valeurs, des critères de jugement. Le progrès représente toujours un "mieux" dans le temps, une amélioration considérée comme telle en fonction d'une certaine conception de ce qui est souhaitable et désirable : santé, sécurité, prospérité, paix, etc."

"Ce qui relie profondément dépassement moderne et individualisme, c'est l'idée que chacun décide souverainement des limites, de celles qu'il accepte ou refuse, de celles qu'il surmonte ou transgresse. Seul juge, et seul responsable [...] Il est donc indispensable que les individus s'accordent pour créer une autorité et une force publique assurant la sécurité des personnes et des biens"

"La limite n'est pas un lieu où l'on demeure. On peut le traverser, se tenir sur ses bords, mais pas s'y installer. C'et un espace de transition, un no man's land où s'élaborent, se mettent en mouvement, se travaillent et se transforment idées, jugements, valeurs, interdits ou protections"

"La condition d'existence de l'autre est d'être distinct de moi (et réciproquement : je n'existe qu'à la condition d'être distinct de l'autre). La limite qui nous disjoint rend possible de nous rejoindre"

samedi 16 octobre 2021

Marcher, une philosophie

Je retrouve dans cet ouvrage de Fréderic Gros des points similaire à celui de Solnit sur le même sujet : la marche. Il alterne temps sur des marcheurs comme Rimbaud, Kant, Thoreau, Rousseau, Gandhi ou Nerval avec des chapitres sur la promenade, le pèlerinage, mais aussi la solitude, le silence ou la pensée du marcheur. 

C'est avant tout un espace de liberté, une façon d'être en dehors d'un système lié au temps. Car la marche, elle se fiche de la vitesse. C'est l'espace qui compte. La marche rend l'homme à lui-même, à sa joie d'exister. Elle le libère du faire. 

"Thoreau a pu écrire dans sa correspondance : pour savoir ce qu'il faut faire, demande, à propos de l'action que tu te proposes, "Quelqu'un d'autre pourrait-il le faire à ma place ? " Si oui, abandonne-la, sauf si elle est absolument indispensable. Mais c'est qu'elle n'est pas prise dans la nécessité de la vie. Vivre, au plus profond, personne ne peut le faire à notre place. Pour le travail, on peut se faire remplacer, mais pas pour marcher"

Un livre agréable à parcourir, qui nous met en compagnie de marcheur poète, philosophes et politiques !



jeudi 23 septembre 2021

Soi-même comme un roi

Sous-titré "Essai sur les dérives identitaires", cet ouvrage d'Elisabeth Roudinesco m'a beaucoup intéressé et appris. Il examine et rappelle l'histoire des mouvements militants et émancipateurs qui semblent aujourd'hui cloisonner plus qu'ouvrir notre société. Pour cela, elle s'intéresse à la question du genre, de la race, des postcolonialités, de l'intersectionnalité. Elle conclue sur les récits de grands remplacements qui enferment.

Cette assignation identitaire qui pousse à déboulonner des statues ou à faire traduire des textes par des personnes de la même appartenance ou identité que leur auteur est questionnant, non ? Est-ce que ça n'assigne pas chacun à résidence, dans des stéréotypes de genre, de culture, de race etc. ? C'est cet excès, cette culture identitaire et ce cloisonnement que dénonce l'auteure, en exposant la variété des discours - car c'est avant tout une histoire de mots et d'identité. 

Ce qui est passionnant dans ce livre, c'est la présentation de ces différents débats qui animent nos sociétés dans leur contexte historique, avec des éléments d'histoire de la pensée. E. Roudinesco revient sur l'évolution des luttes sociales en luttes sociétales. 
On croise Sartre, Beauvoir, Fanon, Saïd et bien d'autres ainsi que des penseurs plus contemporains. Ce qui est un peu plus délicat, c'est la question des interprétations et appropriations qu'en fait chacun, surtout dans le débat contemporain. En effet, des interprétations peuvent parfois contredire complétement l'intention ou les paroles d'un auteur parce pas remises dans un contexte, une histoire, parce que ceux qui parlent appartiennent aux "dominants", où ont former leur pensée dans la culture occidentale etc. La difficulté face à ce constat, est de savoir si ce n'est pas un jeu à double face, où chacun séquence et instrumentalise des propos selon ses objectifs. L'auteure souligne aussi une moralisation parfois hors de propos, parce que hors de la pensée du temps, et la censure a posteriori. C'est notamment vrai vis-à-vis des œuvres d'art. Faut-il les cacher, les réécrire ou repeindre, les condamner ? Il est également question de l'hystérisation des débats et du lynchage médiatique plutôt que du recours, certes plus long, au droit. 

La petite faiblesse de ce livre toutefois, c'est son aspect très théorique, centré sur la guerre des idées et des paroles, même s'il s'appuie sur des événements bien concrets. De même, les pistes pour sortir d'une binarité de raisonnement, pour inviter à la subtilité, au questionnement, sont assez maigres. Elle invite les intellectuels au débat, à la liberté d'expression... et au courage de défendre et analyser leurs prises position.



Comme souvent avec ce genre d'ouvrage, voici une foison de citations : 
"L'affirmation identitaire est toujours une tentative de contrer l'effacement des minorités opprimées, mais elle procède par un excès de revendication de soi, voire un désir fou de ne plus se mélanger à aucune autre communauté que la sienne. Et dès lors que l'on adopte un tel découpage hiérarchique de la réalité, on se condamne à inventer un nouvel ostracisme à l'égard de ceux qui ne seraient pas inclus dans l'entre-soi. Ainsi, loin d'être émancipateur, le processus de réduction identitaire reconstruit ce qu'il prétend défaire"

"On aura compris comment une conception réellement novatrice des études sur la sexualité - distinguant le genre et le sexe - a pu, en quelques décennies, se retourner en son contraire et amorcer un mouvement de régression normalisatrice. Tout commence par l'invention d'un vocabulaire adéquat. Une fois solidement établis, les concepts et les mots se transforment en un catéchisme qui finit, au moment voulu, par justifier des passages à l'acte ou des intrusions dans la réalité. Ainsi passe-t-on, sans même s'en rendre compte, de la civilisation à la barbarie, du tragique au comique, de l'intelligence à la bêtise, de la vie au néant, et d'une critique légitime des normalités sociales à la reconduction d'un système totalisant"

"Si les races n'existent pas, l'idée d'une prétendue infériorité de l'une par rapport à l'autre serait, en revanche, une construction universelle, propre à toute organisation sociale. Les humains ont en effet pour habitude, dès qu'ils se forment en groupe ou en communauté, de rejeter l'altérité au nom de leur propre supériorité culturelle [...] Si tout le monde se ressemble, l'humanité se dissout dans le néant ; si chacun cesse de respecter l'altérité de l'autre en affirmant sa différence identitaire, l'humanité sombre dans la haine perpétuelle de l'autre"

"En inscrivant de cette manière l'histoire de l'extermination des Juifs à l'intérieur de celle de la domination coloniale, issue elle-même de l'esclavagisme, Césaire, comme Lévi-Strauss, donnait un contenu logique et historique au long processus du colonialisme. Et du coup, il faisait de l'anticolonialisme un combat aussi important que celui qui était mené contre l'antisémitisme. Mais pour autant, il ne considérait pas le colonialisme comme une entreprise génocidaire semblable à celle du nazisme : les crimes perpétrés par le colonialisme ne visaient pas à exterminer des populations jugées inférieures mais à les exploiter en réprimant, par le sang, toute tentative d'insurrection. Il n'y eut dans le colonialisme ni entreprise concertée d'extermination ni projet génocidaire sciemment mené à son terme"

"Il [Derrida] refusait aussi le principe selon lequel une langue serait la propriété d'un peuple. Pas de "nationalisme linguistique" : une langue, disait-il, est la signature de celui qui l'invente sans être pour autant sa propriété. Et il allait même jusqu'à affirmer que la langue comme "langue de l'autre" impose sa loi et relève de la culture et non pas de la nature"

"Cette hyper-ethnicisation - ou cet hyper-séparatisme - aura conduit aux dérives identitaires. Remarquons qu'elle encourage autant le racisme que l'antiracisme puisqu'elle alimente à la fois les intérêts des adeptes de la ségrégation et du suprématisme (de la race blanche) et les revendications de discrimination positive (affirmative action et political correctness) selon lesquelles il faut corriger les inégalités ethniques (mises en évidences par ces classifications) par des politiques de compensation, de repentance ou de réparation des offenses passées"

"Notons que l'idée qu'un "étranger" n'ait pas la capacité ou le droit de penser une réalité extérieure à lui-même est une ineptie"

"Ils faisaient tous mine d'oublier que l'Europe avait produit une pensée anticolonialiste et qu'elle n'était pas réductible aux atrocités de l'impérialisme"

"Face au racisme mis en œuvre par les puissances occidentales, il s'agissait désormais, pour les Indigènes, d'inventer un racisme de l'estime de soi, un racisme protecteur prônant la "non-mixité raciale", principe hiérarchique selon lequel un "Blanc", quel qu'il soit, devrait être banni de toute expérience de vie avec les Noirs, puisque par essence tout homme blanc serait un "dominant""

"Dans le cas des révoltes identitaires, on a l'impression que l'acte de destruction s'étire à l'infini, n'est tenu par aucune limite et se produit à l'aveuglette comme l'expression d'une rage pulsionnelle et anachronique [...] La vraie question posée par ces tumultes qui n'en finissent pas d'empoisonner les relations entre les groupes associatifs, les historiens et le pouvoir politique est celle de la construction d'une mémoire partagée. On sait bien que les adeptes de la repentance, des réparations et de la fureur punitive ne parviendront jamais à guérir les souffrances des enfants d'immigrés qui se tournent vers le fanatisme et qui, pour une partie d'entre eux, désavouent l'histoire de leurs propres parents. Au lieu de les libérer, ils ne font qu'accentuer leur malaise en les précipitant dans les pièges qui leur sont tendus par l'obscurantisme"

"Chacun peut librement cultiver son identité à la condition de ne pas prétendre ériger celle-ci en principe de domination. Par ailleurs, l'Etat ne doit pas jouer les censeurs en prétendant réguler la liberté de débattre et d'enseigner. Il n'a pas à prendre partie pour une thèse ou pour une autre"

lundi 20 septembre 2021

No impact man

Bienvenue à New York, au coeur de la vie de quarantenaires et de leur fille ! Colin Beavan, en janvier 2006, se rend compte qu'il fait trop chaud... et se renseigne sur le réchauffement climatique. Il se lance dans un projet : changer de vie jusqu'à ne produire aucun impact sur l'écologie. Cela commence par sa poubelle : Colin et sa femme ne cuisinent pas, commandent des plats à emporter, prennent des cafés à emporter aussi, bref, une alimentation qui génère un nombre de déchets plastiques effrayant. Alors changer de vie, ça semble utopique dans une ville comme New York, non ? C'est ce que je me suis dit en commençant cet ouvrage. Et puis, des déchets, aux transports, en passant par l'alimentation et l'énergie, Colin fait des expériences qui interpellent !

"Je visais non seulement le zéro carbone mais aussi le zéro déchet, zéro pollution dans l'air, zéro toxine dans l'eau, zéro ressource pompée à la planète"

Evidemment, il le fait de façon progressive, et entraine sa famille dans l'aventure. Il y a de belles découvertes comme le vélo ou la trottinette, il y les couches lavables que réclame Isabella, la fillette d'un an, il y a la télé qui est vendue, la lessive dans la baignoire, l'absence de déplacements en avion etc. A chaque pas, l'auteur n'oublie pas de nous dire ce qui lui pèse, ce qui l'amuse, ce qui lui plait, quels moyens il met en œuvre. Il le lie à une philosophie de vie et à ce qu'il souhaite en faire. Certaines actions sont tenables sur un an mais guère plus - notamment vivre sans électricité ou sans voyager pour voir ses proches, à moins de se brouiller avec eux. D'autres peuvent s'ancrer, comme passer ses soirées sans télé, à jouer avec des amis, se fournir localement, prendre les escaliers et le vélo etc. Bien entendu, la question politique est aussi abordée ainsi que la responsabilité des entreprises. Des réformes sont évoquées mais ce n'est pas le cœur de l'expérience. Par contre, ce qui est intéressant, c'est de découvrir aussi ce qui existait avant, notamment pour les déchets qui étaient récupérés, transformés etc.

Une expérience passionnante, inspirante, mais aussi effrayante : est-ce que des choses ont changé dans nos façons de consommer depuis 2006 ? Est-ce que des lois ont vraiment été mises en place ? Est-ce qu'on attend que ça empire ? Bref, c'est encore trop peu !



lundi 6 septembre 2021

L'Art de marcher

On écluse la LAL avec un livre de Rebecca Solnit qui me semblait passionnant et qui m'a un peu déçue, parce que j'attendais une histoire littéraire de la marche et qu'il s'agissait d'une histoire plus large : scientifique, historique, philosophique, géographique et littéraire. C'était un peu fouillis parfois !

Elle commence assez naturellement par la marche chez l'homme et la bipédie, s'intéresse à la marche comme lieu de formulation d'une pensée philosophique, des péripatéticiens à Kant ou Rousseau ou d'une pensée tout court dans la littérature de Joyce ou Woolf. Elle évoque aussi le pèlerinage et les labyrinthes comme lieux de cheminement spirituel et physique. Elle poursuit avec la découverte de la nature, d'abord dans la promenade au jardin puis dans les explorations pédestres des campagnes avec Wordsworth et des montagnes jusqu'aux exploits des alpinistes pour conclure sur les club de rando contemporains. La suite concerne la marche en ville et dans les rues, de la balade à la manifestation jusqu'à la révolution. Elle conclut sur la disparition des lieux de marche dans les villes américaines, la marche ou le sport sur un tapis comme substitut et ce qu'il dit des absurdités contemporaines. La marche devient même un objet artistique pour quelques performeurs.

Un gros bouquin sympathique dont je vous livre quelques extraits glanés !


"Elle crée un équilibre subtil entre travailler et muser, être et faire. La marche est un effort du corps uniquement productif de pensées, d'expériences, d'arrivées [...] Le rythme de la marche donne en quelque sorte son rythme à la pensée. La traversée d'un paysage ramène à des enchainements d'idées, en stimule de nouveaux. L'étrange consonnance ainsi créée entre cheminement intérieur et extérieur suggère que l'esprit, lui aussi, est un paysage à traverser en marchant"

"Le combat pour les espaces où marcher (espaces naturels ou espaces publics) doit s'accompagner de la défense du temps libre, seul disponible pour leur exploration"

"La marche est une des constellations clairement identifiables dans le ciel de la culture humaine. Elle comprend trois étoiles, le corps, l'imagination, le monde, qui existent indépendamment les unes des autres tout en étant reliées par les usages culturels de la marche"

vendredi 27 août 2021

La perversion ordinaire

Encore un livre prêté par un collègue, c'est chouette de faire circuler les lectures. C'est un essai de Jean-Pierre Lebrun sur le vivre ensemble, sur le rapport à autrui, à la perte ou à la limite. 

L'auteur s'interroge sur les mutations de nos sociétés, sur leur complexité et leur confusion. Il pointe notamment une crise de la légitimité dans le domaine de l'éducation, le rapport aux enfants et au "non". Elargissant cette "crise de l'autorité" et du transcendantal à toute la société, il s'interroge sur les causes de celle-ci. 

Il analyse d'abord le rapport au langage et à soi, compris comme manque, renonciation à la toute puissante et permettant la subjectivation psychique. Il est question de la négativité du langage, et de la condition humaine, capable d'appréhender la mort, le vide par rapport au plein, autrui par rapport à soi. Cette question, liée au sujet, il l'étend à la société. Les limites, le vide, l'autre ou la transcendance, nos sociétés actuelles tendent à les nier, voire à les effacer. Il montre alors combien cette absence de limites et d'autorité, revient à faire peser sur chacun des responsabilités et des choix personnels, ce qui est parfois plus complexe que de se reposer sur un cadre. C'est d'abord pour lui l'effet du positivisme et du discours sur les sciences qui laissent entendre que toutes les limites sont à repousser ; puis de la démocratie "démocratiste" qu'il définit comme une illusion d'autonomie, une impression de rien devoir au collectif ; et enfin du "néocapitalisme libéral" qui ne souffre pas de régulation. Il interroge la fin du patriarcat, comprise comme la fin de l'autorité et d'un tiers qui vient décoller, séparer mère et enfant. Il souligne l'importance de la complétude - tout le monde doit être d'accord par exemple - pour que quelque chose soit considéré légitime et la difficulté de cela - on ne peut finalement s'accorder que sur un petit dénominateur commun. Il décrit enfin ce qu'il appelle la "grande confusion", à savoir que ce qui fait différence, ce qui fait souffrance, ce qui fait tarder la jouissance est condamné, tout ce qui fait spécificité est mis en avant, mais aux dépens des autres et du collectif. Et pour éviter cette confrontation au manque ou à la perte - à la réalité -, c'est souvent la fuite en avant. Enfin, il conclut sur la possibilité de la psychanalyse avec ces néo-sujets, notamment sur la question du transfert.

Lecture intéressante, parfois complexe et questionnante : si nos sociétés ont effectivement évolué, est-on réellement dans ce "vivre sans autrui" qui brandit l'auteur ? Ce qui est décrit au niveau de l'individu et de la crise des légitimités est-il réellement à penser à un niveau sociétal ? Le référent psychanalytique est-il pertinent ici ? Je reste un peu sceptique par rapport à des rapprochements qui me semblent parfois lointains. Et intéressée si vous avez des lectures sur ces sujets qui peuvent éclairer ma réflexion.


"Reconnaître qu'il peut et doit exister des objectifs situés en tiers, qui transcendent les intérêts de chacun, ne va plus de soi. Il est donc devenu très difficile de pouvoir encore se référer spontanément à de tels objectifs"

"Pour être un sujet, il faut dire deux fois "Oui !" et une fois "Non !". Une première fois oui : en acceptant d'entrer dans le jeu du langage, d'être aliéné dans les mots de ceux qui nous précèdent. Une fois non : en prenant appui sur le manque dans l'Autre et en faisant objection à ce qui vient de l'Autre. Et une seconde fois oui : quand le sujet accepte ce qui lui vient de l'Autre pour le faire sien, et cela de son propre chef, en ayant eu la possibilité de s'en démarquer, et en étant prêt à assumer les conséquences du choix qu'il pose"