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samedi 17 septembre 2022

Sur les chemins noirs

Du Mercantour au Cotentin, Sylvain Tesson a traversé la France à pieds, par des chemins oubliés, loin des autoroutes de la randonnée. C'est cette expérience qu'il conte ici ! 

Pourquoi un tel projet ? C'est une promesse et une façon de vivre une rééducation suite à une chute qui le laisse tout cassé à l'hôpital. A sa sortie et avec les beaux jours, commence une marche dans les chemins noirs, chemins oubliés bordés de haies et non répertoriés sur les cartes de randonnées. Une marche qui est aussi une plongée dans des déserts ruraux, loin des gares et de la 4G. 

Le lecteur suit Sylvain Tesson sur ces chemins noirs, partageant ses considérations sur le monde, les rares rencontres et paysages. Un livre comme hymne à la liberté, droit à la disparition, à la déconnexion et à l'ermitage. 


Quelques phrases glanées :

"Un rêve m’obsédait. J’imaginais la naissance d’un mouvement baptisé confrérie des chemins noirs. Non contents de tracer un réseau de traverse, les chemins noirs pouvaient ainsi définir les cheminements mentaux que nous emprunterions pour nous soustraire à l’époque. Dessinés sur la carte et serpentant au sol ils se prolongeraient ainsi en nous-mêmes, composeraient une cartographie mentale de l’esquive. Il ne s’agirait pas de mépriser le monde, ni de manifester l’outrecuidance de le changer. Non ! Il suffirait de ne rien avoir de commun avec lui. L’évitement me paraissait le mariage de la force avec l’élégance. Orchestrer le repli me semblait une urgence. Les règles de cette dissimulation existentielle se réduisaient à de menus impératifs : ne pas tressaillir aux soubresauts de l'actualité, réserver ses colères, choisir ses levées d'armes, ses goûts, ses écœurements, demeurer entre les murs de livres, les haies forestières, les tables d'amis, se souvenir des morts chéris, s'entourer des siens, prêter secours aux êtres dont on avait connu le visage et pas uniquement étudié l'existence statistique. En somme, se détourner. Mieux encore ! disparaître. "Dissimule ta vie", disait Épicure dans une de ses maximes (en l'occurrence c'était peu réussi car on se souvenait de lui deux millénaires après sa mort)."

"Un embrigadement pernicieux était à l’œuvre dans ma vie citadine : une surveillance moite, un enrégimentement accepté par paresse. Les nouvelles technologies envahissaient les champs de mon existence, bien que je m’en défendisse. Il ne fallait pas se leurrer, elles n’étaient pas de simples innovations destinées à simplifier la vie. Elles en étaient le substitut. Elles n’offraient pas un aimable éventail d’innovations, elles modifiaient notre présence sur cette Terre. Il était “ingénu de penser qu’on pouvait les utiliser avec justesse”, écrivait le philosophe italien Giorgio Agamben dans un petit manifeste de dégoût. Elles remodelaient la psyché humaine. Elles s’en prenaient aux comportements. Déjà, elles régentaient la langue, injectaient leurs bêtabloquants dans la pensée. Ces machines avaient leur vie propre. Elles représentaient pour l’humanité une révolution aussi importante que la naissance de notre néocortex il y a quatre millions d’années. Amélioraient-elles l’espèce ? Nous rendaient-elles plus libres et plus aimables ? La vie avait-elle plus de grâce depuis qu’elle transitait par les écrans ? Cela n’était pas sûr. Il était même possible que nous soyons en train de perdre notre pouvoir sur nos existences. Agamben encore : nous devenions “le corps social le plus docile et le plus soumis qui soit jamais apparu dans l’histoire de l’humanité”."

"Dans la descente, ce panneau sous les poiriers prouvait combien l'administration maternait les citoyens : La praticabilité de cet itinéraire n'est pas garantie. On devrait annoncer cela à tous les nouveaux-nés au matin de leur vie !"

 

"Après tout, on gagnait à rester dans le voisinage de certains êtres. Peut-être en allait-il de même avec les arbres ?"

mercredi 13 mai 2020

La panthère des neiges

L'Amoureux a pris des risques en m'offrant ce roman de Sylvain Tesson. En effet, ma rencontre avec Dans les forêts de Sibérie n'augurait pas d'une future lecture. J'ai donc ouvert le livre avec un peu de réticence, motivée simplement par la possibilité de rencontrer la panthère du titre, un de mes animaux favoris. J'adore leur démarche, leur longue queue balancier, leur solitude et leur beauté.

Embarqué avec Munier, Marie et Léo dans la recherche de la panthère, notre narrateur part au Tibet, en plein hiver, pour tenter de la voir. Et de la prendre en photo. C'est un récit de voyage un peu différent. Pas d'hommes ou peu. Des animaux. Des étendues glacées. Des jours d'attente et de patience. Cela semble ennuyeux mais c'est passionnant. C'est la redécouverte de la nature, d'un monde en mouvement, auquel nous ne prêtons même plus attention, pris par un mouvement incessant, une frénésie sans but. 
C'est aussi une quête, celle d'un animal presque disparu, discret, secret. On l'attend, la star du roman. Et joyeusement, elle se montre aux plus patients. 
C'est le froid - et c'est certainement ce que j'ai le moins aimé. Comment ont-ils fait pour rester ainsi immobiles dans des températures polaires ? Un froid qui ralentit, qui anesthésie, qui rend plus humble quelque part. Ode à la patience aurait pu être le titre de l'ouvrage, ou au temps retrouvé. Un temps de contemplation d'une nature pleinement vivante, loin des hommes qui la mutilent. Car si nos panthères sont si rares, c'est bien parce que leurs peaux sont mises à prix. 

"J'avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer. Elle invitait à s'asseoir devant la scène, à jouir du spectacle, fût-il un frémissement de feuille. La patience était la révérence de l'homme à ce qui était donné"

Ouvrage porté par une langue élégante, il me réconcilie avec Tesson, dont je lirai peut-être d'autres romans ! Ne serait-ce que pour continuer à réfléchir mon rapport au monde, à sa destruction par l'homme et aux moyens de ne pas le faire. 


J'ai glané pas mal de phrases inspirantes : 
""J'ai beaucoup circulé, j'ai été regardé et je n'en savais rien" : c'était mon nouveau psaume et je le marmonnais à la mode tibétaine, en bourdonnant. Il résumait ma vie. Désormais je saurais que nous déambulions parmi des yeux ouverts dans des visages invisibles. Je m’acquittais de mon ancienne indifférence par le double exercice de l'attention et de la patience. Appelons ça l'amour [...] "Là, en face, sur le talus, un renard, à cent mètres !" me disait Munier comme nous traversions la rivière sur la glace. Et je mettais longtemps à voir ce que je regardais. J'ignorais que mon œil avait déjà capté ce que mon esprit refusait de concevoir. Soudain se composait la silhouette de la bête comme si pigment par pigment, détail par détail elle se précisait dans les rochers, se révélant à moi"
"Les génies de l'humanité étaient des hommes qui avaient choisi une voie unique, sans dévier. Hector Berlioz voyait dans l'"idée fixe" la condition du génie. Il soumettait la qualité d'une oeuvre à l'unité du motif. Si l'on voulait passer à la postérité mieux valait ne pas butiner"
"A la fenêtre de sa chambre, sur la terrasse d'un restaurant, dans une forêt ou sur le bord de l'eau, en société ou seul sur un banc, il suffisait d'écarquiller les yeux et d'attendre que quelque chose surgisse. On ne l'aurait jamais noté si l'on ne s'était pas maintenu aux aguets. Et si rien n'arrivait, la qualité du temps passé s'était trouvée accrue par l'attention portée. L'affût était un mode opératoire. Il fallait en faire un style de vie.
Savoir disparaître relevait de l'art. Munier s'y était entraîné pendant trente ans, mêlant l'annulation de soi à l'oubli du reste. Il avait demandé au temps de lui apporter ce que le voyageur supplie au déplacement de lui fournir : une raison d'être"
"Que choisir ? Vivre maigre sous les voies lactées ou ruminer au chaud dans la moiteur de ses semblables ?"
"Je croyais depuis longtemps que les paysages déterminent les croyances. Les déserts appellent un Dieu sévère, les îles grecques font pétiller les présences, les villes poussent au seul amour de soi, les jungles abritent les esprits. Que des Pères blancs aient réussi à conserver leur foi en un Dieu révélé au milieu des forêts où criaient les perroquets me paraissait un exploit. Au Tibet, les vallons glacés annulent tout désir et déclenchent l'idée du grand cycle. Plus haut, les plateaux harassés de tempêtes confirmaient que le monde était une onde et la vie un passage"

vendredi 1 décembre 2017

Dans les forêts de Sibérie

Pour les retrouvailles du blogoclub, c'est ce titre de Sylvain Tesson qui a été choisi. Il était question de globe-trotters et aventuriers... Ce qui est bien le cas de notre auteur mais est-ce une aventure de s'enfermer dans une cabane près du lac Baïkal ? C'est à travers son journal de bord que nous allons le découvrir.

De février à juillet dans une cabane au fin fond de la Sibérie. Pas de voisins, si ce n'est quelques ours, phoques et insectes au printemps. Des litres de vodka, des livres, des vivres... Et pas grand chose de plus. Un véritable ermitage. Enfin, avec tout de même de la technologie (ordi, portable, etc). Au programme des journée, quelques activités indispensables comme fendre du bois et prendre des poissons. Et quelques autres non moins essentielles comme observer les mésanges, partir en expédition autour de sa cabane, saluer des voisins à quelques jours de marche (oui, pas de véhicule pour notre ermite si ce n'est un kayak), adopter des petits chiots, recevoir (parfois, rarement) des nouvelles du monde. Pour un voyageur, c'est un étrange défi que de demeurer ainsi. Las de trop de pas ? de bruit ? Envie d'un peu d'introspection ? Quelle que soit la raison, l'idée est de relever le défi de 6 mois de cabane, dont 3 à moins 30°C. 

Je n'ai pas bien vu l'intérêt de cette retraite, prétexte souvent à des critiques des grandes villes et de la société, prétexte à une autoanalyse qui ne nous intéresse pas vraiment (et qui ne nous regarde pas, heureusement, l'auteur ne se dévoile pas trop), prétexte à des aphorismes, des pseudo haïkus et des beuveries. Prétexte à une découverte spirituelle ? nullement. L'intérêt littéraire n'est pas dingue non plus. C'est assez plat, avec quelques envolées poétiques par-ci, par-là, quelques jolies descriptions et métaphores... 

Je sors assez déçue de l'expérience, qui me semble inaboutie, aussi bien du côté du voyage intérieur et du déplacement personnel de l'auteur que du côté du déplacement du lecteur, qui n'est (en tous cas, moi comme lectrice) nullement bouleversé par cette œuvre.