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lundi 19 septembre 2022

Les cavaliers

Un dernier pavé, d'un auteur que j'adore, Joseph Kessel. Avec lui, je fais le tour du monde et je m'arrête en Afghanistan pour suivre un tchopendoz, Ouroz. 


Un tchopendoz ? C'est un cavalier de bouzkashi, un célèbre jeu afghan qui se joue à cheval et qui consiste à emporter le cadavre d'une chèvre dans un but, assailli par des dizaines d'autres tchopendoz. C'est le job d'Ouroz et il compte bien remporter le grand bouzkashi du roi à Kaboul. Fils du grand Toursène, monté sur Jehol, rien ne peut lui résister. Sauf son corps. Echouant à quelques centimètres de la victoire, Ouroz décide de rentrer chez lui au plus vite, par un chemin dangereux. Accompagné de son serviteur Mokkhi, il va traverser le pays pour rejoindre ses plaines natales. En chemin, il devra lutter contre l'envie de son serviteur et la douleur de sa jambe brisée. Tout un voyage pour permettre au lecteur d'apprivoiser cet étrange personnage, tout d'orgueil et d'audace.

Un livre d'aventure au cœur de l'Afghanistan, qui nous en fait découvrir traditions et reliefs, guidés par un personnage odieux mais admirable. 

Lu en Folio - 590 pages

samedi 2 avril 2022

Les Plaisirs et les Jours suivi de L'Indifférent

La préface aurait dû m'alerter, qui dit combien ces écrits de jeunesse diffèrent de La Recherche. Certes, on y retrouve les thèmes parisiens, les amours contrariées et les vanités. Mais le style m'en a semblé bien trop précieux et maniéré. 

La première nouvelle nous fait croiser un vicomte malade et son neveu tandis que la seconde s'attarde sur Violante, une vicomtesse qui s'égare dans la vie mondaine, thème qu'on retrouve dans "La Confession d'une jeune fille". S'ensuivent des "Fragments de comédie italienne" qui dressent en quelques paragraphes des portraits d'amis et d'amants malheureux - oui, entre la tristesse et la mort, ce recueil ne respire pas la joie. Je ne garde qu'un souvenir vague de "Mondanité et mélomanie de Bouvard et Pécuchet" qui épinglent leurs contemporains. S'ensuivent plusieurs nouvelles qui parlent d'amour blessé ou non réciproque comme "Mélancolique villégiature de madame de Breyves" ou "L'Indifférent". Les "Portraits de peintres et de musiciens" en vers n'ont pas un intérêt fou. D'autres visions poétiques se poursuivent dans "Les Regrets" où l'on trouve un peu de tout, du descriptif au narratif. "Un diner en ville" porte bien son titre. "La fin de la jalousie" rappelle la brièveté de la vie et les affres de la jalousie.

Snobisme et vie mondaine, plongée dans la Belle Epoque des rentiers en version brève - et répétitive -, je sors déçue. C'est un peu comme si j'avais lu des brouillons non aboutis. 


lundi 22 novembre 2021

Le roman de Venise

Voici un vieux de la vieille de la PAL ! Les échanges de George Sand et Alfred de Musset attendaient patiemment que je daigne les ouvrir. Lecture lente de mon côté, entrecoupée d'autres découvertes, je viens de refermer les dernières pages de cette saga des sentiments. Vous connaissez l'histoire j'imagine : George aime Musset, ils partent en voyage à Venise, il tombe malade et elle tombe amoureuse du médecin, retour à Paris et petit jeu entre les deux amants façon je te suis - tu me fuis. 

L'ouvrage édité par Babel rassemble à la fois les lettres des amants mais aussi quelques lettres avec leurs proches (Sainte-Beuve, Buloz, Pagello...), des extraits de journaux, de correspondance de l'époque qui s'intéresse à la vie des deux amants. Il propose des courriers de 1830 à 1844. Il ne s'agit pas de la correspondance exhaustive des deux amants mais d'une large sélection, avec quelques dessins - au début - et beaucoup de notes pour identifier les personnes concernées ou les événements. Outre l'histoire d'amour des amants, on y voit leurs soucis et préoccupations du quotidien - l'argent, les enfants, les écrits pour George... et la mère de Musset !

Un ouvrage plus exigeant mais aussi plus riche que je ne l'imaginais.

"Quand j'étais son esclave, il m'aimait faiblement ; à présent que je rentre dans les droits de ma raison, son orgueil blessé s'attache à moi et me poursuit comme une conquête difficile..."

"Tu n'es pas de ceux qu'une fatigue vaine doit décourager ni qu'une chute peut briser. Tu n'es pas destiné à ramper sur la boue de la réalité. Tu es fait pour créer ta réalité toi-même dans un monde plus élevé, et pour trouver tes joies dans le plus noble exercice des facultés de ton âme. Va, espère, et que ta vie soit un poème aussi beau que ceux qu'a rêvés ton intelligence"

"Ecoute, écoute, George, si tu as du cœur, rencontrons nous quelque part, chez moi, chez toi, au Jardin des Plantes, au cimetière, au tombeau de mon père (c'est là que je voulais te dire adieu). Ouvre ton cœur, sans arrière-pensée, écoute-moi te jurer de mourir avec ton amour dans le cœur ; un dernier baiser et adieu !"

"Je suis perdu, vois-tu, je suis noyé, inondé d'amour ; je ne sais plus si je vis, si je mange, si je marche, si je respire, si je parle ; je sais que j'aime. Ah ! si tu as eu toute ta vie une soif de bonheur inextinguible, si c'est un bonheur d'être aimée, si tu ne l'as jamais demandé au ciel, oh toi, ma vie, mon bien, ma bien-aimée ! regarde le soleil, les fleurs, la verdure, le monde ! Tu es aimée, dis-toi, cela autant que Dieu peut être aimé par ses lévites, par ses amants, par ses martyrs, je t'aime, ô ma chair et mon sang ! je meurs d'amour, d'un amour sans fin, sans nom, insensé, désespéré, perdu, tu es aimée, adorée, idolâtrée jusqu'à en mourir ! Et non ! je ne guérirai pas. Et non, je n'essayerai pas de vivre ; et j'aime mieux cela, et mourir en t'aimant vaut mieux que de vivre. Je me soucie bien de ce qu'ils en diront. Ils disent que tu as un autre amant. Je le sais bien, j'en meurs. Mais j'aime, j'aime, j'aime. Qu'ils m'empêchent d'aimer !"

"Hélas me voici lâche et flasque comme une corde brisée, me voici par terre, me roulant avec mon amour désolé comme avec un cadavre, et je souffre tant que je ne peux pas me relever pour l’enterrer ou pour le rappeler à la vie."

"je n'ai pas le courage de rester avec celui que je devrais aimer, et je l'aimerai toujours trop, pour jamais offrir de garantie certaine à un autre, contre lui. Je vais donc travailler à tuer l'amour en moi."

jeudi 10 décembre 2020

Les braises

Ce roman de Sandor Marai patientait depuis un certain temps sur ma PAL. Comme souvent avec cet écrivain, j'ai passé un très bon moment. 

Le général vient de recevoir un pli. Sur le champ, il ordonne que la maison reluise pour accueillir un mystérieux invité. A travers un flash back, on découvre le vieil homme enfant, fils d'une française et d'un officier d'Autriche-Hongrie. On suit Henri dans cette enfance solitaire d'enfant unique, entre des parents si différents, à l'école et à l'armée. Heureusement, il rencontre un ami, Conrad, duquel il est inséparable. 

Ce soir, c'est un vieillard qui s'apprête à revoir cet ami après 40 ans de séparation. Ambiance tendue, tout le monde sur son 31, c'est une soirée spéciale qui se prépare. Car l'ami en question a fui un beau matin, est parti vivre sous les tropiques sans dire au revoir, après une soirée en tous points identique à celle que veut lui faire vivre Henri. A l'époque, Christine, son épouse, était toujours vivante et il s'était passé quelque chose entre Christine et Conrad. Ce soir, le général veut connaitre la vérité. Et c'est une longue soirée qui se déroule, une soirée où l'on replonge dans le monde d'avant la Première Guerre mondiale où chacun appartenait à un camp différent. Une soirée d'un luxe que l'on imagine plus. Une soirée polie, sans éclats de voix, mais où la sourde détermination d'Henri ne fait pas de doute : il ira jusqu'au bout de ses questions. 


Un huis-clos où la tension grimpe progressivement, ferrant le lecteur qui a autant envie de savoir que le général. Un roman sur l'amitié servi par une plume délicate, attentive aux mouvements de l'âme. Vous avez compris : j'ai beaucoup aimé !


"Etre différent de ce que l'on est... est le désir le plus néfaste qui puisse brûler dans le cœur des hommes. Car la vie n’est supportable qu’à la condition de se résigner à n’être que ce que nous sommes à notre sens et à celui du monde. Nous devons nous contenter d'être tels que nous sommes et nous devons aussi savoir qu'une fois que nous aurons admis cela, la vie ne nous couvrira pas de louanges pour autant. Si, après en avoir pris conscience, nous supportons d'être vaniteux ou égoïstes, d'être chauves ou obèses, on n'épinglera pas de décoration sur notre poitrine. Non, nous devons nous pénétrer de l'idée que nous ne recevrons de la vie ni récompense ni félicitations. Il faut se résigner, voilà tout le grand secret"

mercredi 4 novembre 2020

Les brigands

Cette pièce de Friedrich von Schiller était dans ma LAL depuis des années. C'est grâce à Babelio que j'ai enfin franchi le cap.

Terrible histoire de famille, qui nous fait entrer dans la violence du Romantisme allemand. Maximilian von Moor et ses deux fils, Franz et Karl, sont au centre de l'histoire. Franz annonce à son père combien Karl est un débauché, ce qui conduit à son reniement. Franz est un sacré manipulateur, qui cherche à récupérer l'héritage de son frère ainsi que sa fiancée. Très noir, il fait croire à la mort de Karl puis de Maximilian. Quant à Karl, il se fait chef d'une bande de brigands, sorte de Robin des Bois. 

Bien entendu, tout cela se termine affreusement mal pour tout le monde. C'est violent, c'est manichéen, c'est sans filtre. Puissant !

mercredi 21 octobre 2020

La Princesse de Babylone

 Relecture d'un ouvrage de Voltaire lu en terminale... Oups, ça date ! On n'est pas très loin de Candide.

Le roi de Babylone organise un concours dont le prix est sa fille, la magnifique Formosante. Trois rois et un berger se présentent. C'est le berger, monté sur une licorne, qui remporte toutes les épreuves et disparait après avoir laissé un phénix à la belle Formosante, qui s'amourache de lui. Pour le roi, c'est plus compliqué, aucun des prétendants ne convient et un oracle lui annonce que sa fille doit faire le tour du monde. 

Qu'à cela ne tienne, Formosante commence un voyage à destination du pays des Gangarides, pays de cocagne où vit Amazan, le fameux berger. Embrassée par le roi d'Egypte qu'elle voulait leurrer, elle est prise à son propre piège : Amazan entame un tour du monde pour fuir l'infidèle. C'est l'occasion pour elle de faire un tour du monde et de découvrir de curieuses contrées : Chine, Russie, Pays-Bas, Angleterre, France, Espagne... Ce roman d'amour est bien sûr l'occasion de souligner les traits de l'un ou l'autre peuple, avec burlesque ou ironie, mais surtout d'en critiquer le système politique ou religieux. 

Sous ses airs exotiques et drôles, c'est un parfait petit conte des Lumières, qui joue avec les codes du roman courtois. 

dimanche 27 septembre 2020

Révolte dans les Asturies

Cet ouvrage d'Albert Camus est de ceux que je n'avais pas lu dans mon adolescence, temps où j'ai dévoré ses œuvres. Oui, j'ai mangé des classiques au kilomètre entre 12 et 22 ans, chacun son vice ! Et j'aime bien y revenir maintenant :) Bon, ce titre n'est pas de ceux que je retiendrais. 

Alors cette courte pièce n'est pas seulement de Camus mais aussi de Jeanne-Paule Sicard, Bourgeois et Poignant, c'est une oeuvre collective en quatre actes, qui retrace une révolte ouvrière de 1934 en Espagne. C'est bien sûr une pièce engagée politiquement et actuelle (écrite en 1935), dont la représentation a été interdite à sa publication.  

On est du côté des révoltés, et l'on suit les débuts de la grève des mineurs communistes, les hommes qui se sacrifient à une cause, et qui sont écrasés dans le sang. Tout se passe autour d'un café, avec une grande place donnée à la radio qui informe de la pensée officielle. Il y a peu de textes et de personnages, c'est plus une base. Pas le temps de s'attacher aux personnages, on a à peine le temps de les connaitre et l'action va vite. C'est assez sec, très centré sur le politique.

vendredi 25 septembre 2020

Tendre est la nuit

C'est un livre de Fitzgerald dont je disais, par habitude, qu'il était de mes favoris. Mais je n'en gardais qu'un vague souvenir. Alors le mois américain fut l'occasion de le ressortir de la bibliothèque et de le redécouvrir. Je ne sais pas si je le classerais encore dans mes favoris mais j'ai incontestablement passé un beau moment de lecture. 

C'est un roman en trois temps. Le temps de Rosemary, celui de Dick puis celui de Nicole. C'est l'histoire d'un couple. C'est une histoire d'amour et de folie. Une histoire qui s'intéresse à la psychologie. C'est une histoire de riches, entre deux-guerres. Côte d'Azur, Suisse, Paris...

Matisse, deux danseurs, 1937

Rosemary, jeune star de cinéma, est éblouie par les Diver, Dick et Nicole. Elle s'entiche surtout de lui, dont elle tombe amoureuse mais est aussi fascinée par la troublante épouse. Elle les suit à Paris. Ce n'est que restaurants, théâtre et oisiveté élégante. Quelle perfection ! Et pourtant, un soupçon s'insinue : qu'a-pu voir Mrs McKisco chez les Diver pour déclencher un duel ? 

Dick, c'est l'homme parfait, qui fait se sentir chacun à l'aise, le gentleman attentif et doux. Le psychiatre aussi. L'homme qui a charmé une jeune et riche malade, Nicole. Par ses lettres pendant la guerre, il l'aide à se soigner. En l'épousant, il espère la guérir de sa schizophrénie. Le couple parfait voyage en Europe, Nicole fait quelques rechutes, Dick s'installe et monte une clinique. Il aime fêter et boire, un peu trop parfois.

Nicole, l'héritière, la belle, l'étonnante est plus consciente de son environnement et de sa maladie qu'elle n'y parait. Elle voit aussi son mari, objet de tous ses soins et de sa jalousie, devenir peu à peu un homme vulgaire, alcoolique, oisif... dévoré par elle, peut-être.

C'est une histoire d'amour tragique, de passion fusion, une tragédie en trois actes, aux plans dignes d'une caméra. Une histoire des années folles, chez les riches de ce monde, noyée par le luxe, l'argent, les futilités, où l'on se laisse bercer, envouter jusqu'à la noyade. Mélancolique et élégant, à l'image de la plume de Fitzgerald, c'est un roman plus fin qu'il n'y parait, tout en clair-obscur.

mercredi 16 septembre 2020

Middlemarch

Voilà des années que je compte m'atteler à ce gros pavé de George Eliot. Débuté à la fin du mois anglais, je le termine maintenant. J'étais pourtant optimiste, bien accrochée aux premiers chapitres et puis, petit coup de mou au milieu et lassitude avant de le reprendre.

Bienvenue à Middlemarch, charmante bourgade anglaise au début du XIXe siècle. Attention, c'est petit, on papote, on se regarde, on sait si on est du même monde ou pas. 

Au cœur de notre roman, des femmes diverses, plus ou moins indépendantes - à la façon de l'époque - mais toujours considérées comme mineures par les hommes : Dorothea, une charmante et riche jeune femme, pure, spirituelle voire mystique et éprise de savoir ; 

"Il fallait à son essor une satisfaction sans limite, un objet dont elle ne se lasserait jamais, capable de réconcilier le désespoir de soi-même avec le sentiment délicieux d'une vie en dehors de soi"

Rosamond, charmante aussi mais consciente de ses charmes et assez superficielle ; Mary, moins jolie mais terriblement douce, bonne et dévouée ; Célia, la soeur de Dorothea, douce et bonne, soumise à son mari. 

Côté beaux gosses, il y a Lygate, médecin moderne, qui cherche à se faire une clientèle et à épouser une femme modèle ; Fred, le fan de chevaux, qui se rêve héritier et se met tant bien que mal au boulot ; Chettam, qui se console de la perte d'une sœur avec l'autre ; Ladislaw, artiste et intelligent, un peu fat, mais sans le sou et de naissance douteuse. Et d'autres hommes un peu moins sympathiques tels que le vieux Casaubon dont s'entiche Dorothea, séduite par ses discussions élevées. Ou moins sexy tel Camden, le bon père, sérieux, compétent et aimé de tous.

Et le pitch ? Histoires de mariages, bien sûr avec leurs désillusions, les caractères qui se dévoilent dans l'intimité et les ragots des voisins. Mais pas seulement ! Il y a aussi des intrigues politiques et financières dans une société à la fois en pleine évolution et fortement arc-boutée sur ses traditions. Histoires d'héritage, de malversations financières ou d'élections, ce ne sont pas celles qui m'ont le plus intéressée. Je les ai trouvé parfois embrouillées ou trop denses. Par contre, il est remarquable de lire les caractères des uns et des autres (surtout des unes en fait, avec une belle attention aux personnages féminins), et la façon dont ils se dévoilent dans des moments de crise. Ce qui rend aussi ce livre agréable, ce sont les apartés et commentaires de l'auteure, qui n'hésite pas à se moquer finement de ses personnages, des différences homme/femme ou de la vie de province. 


"L’esprit d’un homme, quel qu’il soit, a toujours cet avantage sur celui d’une femme qu’il est du genre masculin, comme le plus petit bouleau est d’une espèce supérieure au palmier le plus élevé, et son ignorance même est de plus haute qualité"
"Si l’auteur d’une Clef de toutes les mythologies était trop disposé à ne considérer les autres qu’au point de vue de sa convenance personnelle et comme providentiellement créés à son usage, n’oublions pas que ce trait de caractère ne nous est pas tout à fait étranger, et qu’il réclame comme toutes les autres espérances trompeuses des mortels, un peu de notre pitié"
"Un matin, quelques semaines après son retour à Lowick, Dorothée… mais pourquoi toujours Dorothée ? N’y avait-il donc, dans ce ménage, que son seul point de vue à considérer ? Pourquoi réserverions-nous tout notre intérêt, toute notre faculté de compréhension, aux jeunes créatures qui conservent un air florissant au milieu de leurs chagrins ? car celles-ci aussi se faneront et connaîtront les soucis usants et les souffrances d’un âge plus avancé, dont nous les encourageons à ne pas se préoccuper. En dépit de ses yeux clignotants, des loupes blanches que lui reprochait Célia, et de l’absence de rondeurs musculaires qui contristait sir James, M. Casaubon avait au cœur un foyer de sentiments intenses, une soif intellectuelle aussi insatiable que les appétits du reste des humains. Il n’avait, en se mariant, rien fait d’exceptionnel, rien que ce que la société sanctionne et considère comme une occasion de fleurs et de banquets. Il avait trouvé un beau jour qu’il n’y avait plus à différer dans ses intentions matrimoniales, et il s’était dit qu’en prenant femme, un homme bien posé devait désirer et choisir avec soin une jeune lady florissante — la plus jeune serait le mieux, parce qu’elle serait alors plus éducable et plus soumise, — d’un rang égal au sien, ayant des principes religieux, d’honnêtes penchants et l’intelligence saine. À une telle jeune fille, il ne manquerait pas d’assurer de beaux revenus, et ne négligerait aucun soin pour son bonheur ; en retour, il recevrait d’elle les joies de la famille et laisserait derrière lui cette copie de lui-même que les faiseurs de sonnets du xvie siècle semblaient réclamer de tout homme avec tant d’insistance. Les temps étaient changés, et nul faiseur de sonnets n’avait insisté auprès de M. Casaubon, pour qu’il laissât au monde une copie de lui-même ; d’ailleurs, il n’était pas encore venu à bout de la copie de sa clef des mythologies ; mais il avait toujours eu l’intention de se mettre en règle avec la nature par le mariage ; et avec le sentiment de sa solitude, l’impression que les années fuyaient rapidement derrière lui, que le monde devenait plus obscur, était pour lui une raison de ne pas perdre plus de temps à se donner ces joies domestiques, avant que les années ne l’en privassent pour toujours [...] La société n’a jamais eu l’absurdité d’exiger qu’un homme se préoccupe autant des facultés qu’il possède pour rendre heureuse une charmante jeune fille, que des facultés de cette jeune fille pour le rendre heureux lui-même. Comme si un homme n’avait pas assez à faire de choisir sa femme, mais devait encore choisir le mari de sa femme ! Ou, comme s’il était tenu de se préoccuper, en sa propre personne, des grâces qu’il transmettra à sa postérité ! Quand Dorothée l’accepta avec effusion, M. Casaubon trouva la chose toute naturelle, et crut que son bonheur allait commencer"
"Quand les animaux entrèrent dans l’arche par paires, on peut s’imaginer que les espèces les plus rapprochées se regardèrent d’assez mauvais œil, en songeant que, sur une unique provision de fourrage, cela faisait vraiment trop de corps à nourrir. Des réflexions du même genre s’imposèrent aux carnivores chrétiens qui formaient le cortège mortuaire de Pierre Featherstone, guettant tous la même provision limitée dont chacun espérait la plus grosse part. Les plus proches parents par le sang, et les parents par alliance formaient déjà un nombre considérable qui, multiplié par les possibilités, offrait un vaste champ aux conjectures jalouses et aux espérances passionnées"

mercredi 26 août 2020

Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède

 Encore un classique qui dormait sur ma PAL. De Selma Lagerlöf, je n'ai jamais rien lu et pourtant, ses titres sont bien présents sur ma LAL. Avec ce titre, j'ai l'impression d'avoir lu Le tour de la France par deux enfants en Suède !

Nils Holgersson est un sale gosse, paresseux et cruel. Alors qu'il sèche la messe, il est transformé par un tomte (un lutin suédois) en tomte. Minuscule, il ne peut plus faire grand chose pour embêter les bêtes de sa ferme mais il comprend leur langage. En essayant d’empêcher un jars de s'enfuir, il est emporté par un vol d'oies sauvages. Et le voilà parti pour un tour de la Suède, suivant la migration et les pérégrinations des oies d'abord pour l'été puis pour la période automnale. Outre la relation du garnement aux oies, à qui il devra vitre prouver son utilité s'il veut voyager, cet épais roman décrit les diverses régions de la Suède avec son relief et sa géographie, ses industries et son économie, son histoire et ses légendes. 

Roman d'apprentissage destiné à des écoliers, c'est bien sûr très moral et rempli d'anecdotes et d'adjuvants sympathiques, humais ou bêtes. Le seul ennemi, Smirre, est un renard banni par les siens qui mettra tout en oeuvre pour tuer Poucet - Nils est surnommé ainsi par les oies - et Akka, l'oie qui guide les autres. 

L'ensemble est agréable à lire, bien écrit ; il manquait peut-être une carte à mon édition pour suivre le périple et localier les lieux mais même ainsi, on se laisse porter par les histoires sur chaque région. Je me suis amusée des contes communs à d'autres pays comme la ville engloutie, les rats ensorcelés ou les géants qui modèlent le pays. Et j'ai apprécié de croiser l'auteure elle-même dans son manoir avec Nils. Seul bémol : les longueurs et les répétitions de certains motifs. 


mercredi 8 juillet 2020

La Joie

Bon, j'ai eu du mal avec ce livre de Bernanos. J'ai eu du mal à la suivre - mais je n'ai pas lu L'imposture qui le précède. Et j'ai trouvé le roman lent et alambiqué.

Tout tourne autour de Chantal de Clergerie, une jeune fille mystique, belle et pure, entourée de personnages qui ne la comprennent pas et ne pensent qu'à leurs intérêts. Son père brigue des honneurs. Sa grand-mère est folle et s'énerve autour d'un trousseau de clés. Chez les serviteurs - oui, on est dans la bonne bourgeoisie - c'est assez tendu, notamment autour du nouveau chauffeur russe, Fiodor. Quant aux visiteurs de cette villa normande en plein été, ils jouent les tentateurs ou les testeurs de la sainteté de la jeune fille. 

Roman sur le mysticisme, qui joue avec nos nerfs et ceux des personnages pour des prunes, qui traîne en lenteur sous un soleil de plomb... Pas ma tasse de thé !


mardi 30 juin 2020

The Years

Un mois anglais sans Virginia Woolf, c'est triste, non ? J'ai sorti The Years de ma PAL, dont je repoussais la lecture en VO, de crainte de n'y rien comprendre. J'ai eu des moments de flottement, notamment pour suivre les relations familiales.

Au centre de ce roman, les femmes de la famille Pargiter. Pourtant, c'est avec le colonel Abel Pargiter, époux d'une femme malade, Rose, que s'ouvre le roman. Il rend visite à sa bonne amie avant de retrouver les siens pour le thé. Autour de la table, ses enfants, Eleanor, Milly, Delia, Martin et Rose. Il y a aussi Morris et Edward, loin du tea time familial mais aussi fils du colonel, l'un travaillant et l'autre étudiant. On découvre également d'autres parties de la famille, comme la cousine Kitty ou les cousines Maggie et Sara. Si l'essentiel se déroule dans la bonne bourgeoisie, on découvre aussi d'autres aspects, que ce soit par le regard d'une bonne ou par celui des cousines pauvres. 


Entre 1880 et les années 30, on va les voir évoluer, se marier, voyager, avoir des enfants, mourir. Enfin, on apprendra ces éléments par bribes, au travers d'une pensée ou d'une conversation, sans trame narrative pour expliciter tout cela. En effet, les personnages sont toujours saisis au présent, à un moment précis d'une journée, d'une année. Cette journée est toujours décrite par sa météo et sa saison, ainsi que par des éléments sur les lieux traversés, souvent à Londres. A part les dates qui délimitent les chapitres et quelques événements extérieurs comme les bombardements de Londres, les avions, les voitures, peu d'indications temporelles. Nos personnages évoluent dans un perpétuel présent, qui permet d'explorer le flux de leur pensées et de suivre leurs paroles, comme cela est cher à Virginia Woolf. Dans ce pur présent, difficile de saisir l'épaisseur des vies, tout semble épars, sans passé ni futur. Les objets ont plus de constance et de consistance, que ce soit le portrait de Rose ou la bouilloire qui réapparaissent régulièrement dans le roman. Ils sont concrets, ils fonctionnent tandis que nos héros et héroïnes semblent bien volatiles, eux qui n'arrivent pas à communiquer, qui restent dans le banal alors qu'ils rêvent de plus. Cette incommunicabilité, cette difficulté à se connaitre, c'est aussi ce qui accentue la mélancolie de ce roman. Ce n'est donc pas un roman à intrigue mais une lecture plus contemplative, où les choses apparaissent en creux, au hasard d'une pensée. Il y est question du temps qui passe et de l'impossibilité d'habiter ce temps, accentuée par l'éternel présent. Avec ses mondanités, ses soirées et fêtes un peu vides, qui n'amusent guère les personnages, et les réflexions sur le temps, je n'ai pu m'empêcher de penser régulièrement à Proust pendant ma lecture. 

Une très belle découverte !
"Her past seemed to be rising above her present. And for some reason she wanted to talk about her past; to tell them something about herself that she had never told anybody--something hidden. She paused, gazing at the flowers in the middle of the table without seeing them. There was a blue knot in the yellow glaze she noticed.
"I remember Uncle Abel," said Maggie. "He gave me a necklace; a blue necklace with gold spots."
"He's still alive," said Rose.
They talked, she thought, as if Abercorn Terrace were a scene in a play. They talked as if they were speaking of people who were real, but not real in the way in which she felt herself to be real. It puzzled her; it made her feel that she was two different people at the same time; that she was living at two different times at the same moment. She was a little girl wearing a pink frock; and here she was in this room, now. But there was a great rattle under the windows. A dray went roaring past. The glasses jingled on the table. She started slightly, roused from her thoughts about her childhood, and separated the glasses."
"And suddenly it seemed to Eleanor that it had all happened before. So a girl had come in that night in the restaurant: had stood, vibrating, in the door. She knew exactly what he was going to say. He had said it before, in the restaurant. He is going to say, She is like a ball on the top of a fishmonger's fountain. As she thought it, he said it. Does everything then come over again a little differently? she thought. If so, is there a pattern; a theme, recurring, like music; half remembered, half foreseen? . . . a gigantic pattern, momentarily perceptible? The thought gave her extreme pleasure: that there was a pattern. But who makes it? Who thinks it? Her mind slipped. She could not finish her thought."
"There must be another life, here and now, she repeated. This is too short, too broken. We know nothing, even about ourselves. We're only just beginning, she thought, to understand, here and there. She hollowed her hands in her lap, just as Rose had hollowed hers round her ears. She held her hands hollowed; she felt that she wanted to enclose the present moment; to make it stay; to fill it fuller and fuller, with the past, the present and the future, until it shone, whole, bright, deep with understanding."

 

jeudi 11 juin 2020

Le domaine de Belton

Je découvre Anthony Trollope avec ce titre. C'était plutôt une rencontre sympathique !

Bienvenue dans la campagne anglaise où Clara, 25 ans, se retrouve ruinée et déshéritée. Ruinée par son frère, qui a dilapidé toute la fortune familiale avant de se suicider. Déshéritée par son cousin Will, qui hérite de ses terres et de sa maison... Enfin, à la mort de son père. Cela ne semble pas l'inquiéter, c'est une fille douce, droite et déterminée ! 
Son cousin Will vient visiter les terres, propose quelques améliorations, s'entend bien avec Clara et son père. Mais tombe amoureux de la jeune fille qui le refuse. Elle en aime un autre. Et c'est les histoires d'amour et d'argent de Clara que l'on va suivre.

Un roman agréable à lire, dont le narrateur ne se prive pas quelques apartés avec le lecteur, dans une atmosphère très victorienne, où  les questions de classe, d'argent et de fréquentations sont primordiales. 

mardi 26 mai 2020

Il viccolo di Madama Lucrezia

C'est une nouvelle de Prosper Mérimée qui se déroule à Rome. Une petite pointe de fantastique aiguise notre attention... et retombe.

Notre narrateur, fraîchement arrivé à Rome, se fait un ami, un jeune homme destiné à la prêtrise qui trompe bien son monde. Un soir, après avoir évoqué de curieux phénomènes, il est témoin d'une étrange apparition, dans un lieu obscur et abandonné. Dans cette bicoque, qu'il se fait ouvrir dès le lendemain, il apprend que vivait Lucrèce Borgia qui y tuait ses amants. Jouant avec sa peur, le narrateur s'aventure à nouveau dans la ruelle...

Courte et peu élaborée par rapport à la Vénus d'Ille dont j'ai d'excellents souvenirs, une nouvelle qui ne vaut pas le détour !

jeudi 21 mai 2020

Andromaque

Aurais-je relu Racine sans le challenge de Babelio, pas sûre ! Je crois que je préfère le voir joué. Et pourtant, il n'était pas désagréable du tout de replonger dans cette tragédie. Je l'ai étudiée en 4e, rapidement, relue en prépa, et cette année encore. J'apprécie beaucoup la langue du XVIIe siècle, les alexandrins, les personnages antiques, le jeu des passions... bref, c'était un plaisir que de replonger dans cette pièce.

L'intrigue en est simple. Troie est tombée. Andromaque a vu mourir Hector, qu'elle aime toujours, et a sauvé Astyanax. Elle est captive de Pyrrhus qui l'aime mais doit épouser Hermione, laquelle l'aime mais est aimée d'Oreste.
Oreste, envoyé par les grecs pour écarter et tuer Astyanax et pour encourager le mariage d'Hermione et Pyrrhus, aura un peu de mal à remplir sa mission, pris dans un dilemme entre amour et politique. Qui est partagé par les différents personnages de la pièce. Et les oscillations de la passion habitent les personnages tout au long des cinq actes. Evidemment, tout cela finit très mal.

Ce que j'aime particulièrement, ce sont les hésitations d'Andromaque dans l'acte IV et ses échanges avec Céphise. Je vous partage quelques extraits que j'apprécie !

"Phoenix. Vous aimez : c’est assez.
Pyrrhus. Moi l’aimer ? une ingrate
Qui me hait d’autant plus que mon amour la flatte ?
Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi,
Je puis perdre son fils ; peut-être je le doi.
Étrangère… que dis-je ? esclave dans l’Épire,
Je lui donne son fils, mon âme, mon empire ;
Et je ne puis gagner dans son perfide cœur
D'autre rang que celui de son persécuteur ?"
"Pyrrhus. Pour la dernière fois, sauvez-le, sauvez-vous.
Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes,
Combien je vais sur moi faire éclater de haines.
Je renvoie Hermione, et je mets sur son front,
Au lieu de ma couronne, un éternel affront.
Je vous conduis au temple où son hymen s’apprête ;
Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête.
Mais ce n’est plus, Madame, une offre à dédaigner :
Je vous le dis, il faut ou périr ou régner."
"Andromaque. Dois-je les oublier, s’il ne s’en souvient plus ?
Dois-je oublier Hector privé de funérailles,
Et traîné sans honneur autour de nos murailles ?
Dois-je oublier son père à mes pieds renversé,
Ensanglantant l’autel qu’il tenoit embrassé ?
Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants,
Entrant à la lueur de nos palais brûlants,
Sur tous mes frères morts se faisant un passage,
Et de sang tout couvert échauffant le carnage.
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants.
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir à ma vue ;
Voilà par quels exploits il sut se couronner ;
Enfin voilà l’époux que tu me veux donner."
"Hermione. Quoi ? sans que ni serment ni devoir vous retienne,
Rechercher une Grecque, amant d’une Troyenne ?
Me quitter, me reprendre, et retourner encor
De la fille d’Hélène à la veuve d’Hector ?
Couronner tour à tour l’esclave et la princesse ;
Immoler Troie aux Grecs, au fils d’Hector la Grèce ?
Tout cela part d’un cœur toujours maître de soi,
D’un héros qui n’est point esclave de sa foi."

mercredi 11 mars 2020

Le journal d'un fou

Cette nouvelle de Gogol m'a beaucoup rappelé Le Nez, à tel point que j'ai dû vérifier en cours de lecture que c'était effectivement bien une découverte. 

Encore une fois, nous suivons un fonctionnaire d'état. Il taille des plumes pour son directeur et écrit son journal, qui n'est pas très passionnant avant de basculer dans la folie. On y lit les frustrations d'un homme amoureux, à qui la belle est indifférente, et d'un homme qui s'ennuie dans ses taches. La folie intervient progressivement dans le journal, d'abord lorsque notre héros poursuit une chienne qu'il entend parler et confier des secrets, puis lorsque lui-même perd pied en prenant conscience de sa véritable identité : roi d'Espagne. Là, les dates s'embrouillent, l'écriture aussi et notre pauvre bonhomme finit enfermé. 

Outre sa belle description de la folie, cette oeuvre critique au passage, encore, les fonctionnaires d'état !


vendredi 24 janvier 2020

Black

J'aimais bien le challenge classique de Platypus, qui a maintenant disparu. Je lui ai trouvé une alternative sur Babelio avec le challenge solidaire qui propose de lire pas mal d'auteurs présents dans ma PAL. C'est l'occasion de lire un petit Dumas pas bien connu... et pas dingue non plus, il faut le dire.


Tout commence à Chartres, quand Dieudonné de la Graverie croise un grand chien noir qui ne le quitte d'une semelle. Sur ce chevalier, qui n'est en rien agréable ou aimable nous dit l'auteur, nous allons presque tout savoir via un long flash back. Né pendant la Terreur, élevé dans un couvent de dames sensibles et niaises, il épouse Mathilde, sa seule amie. Monté à Paris, il découvre ce qu'impliquent les fonctions de chevalier et la vie de cour. Après un drame, il quitte la France et voyage avec son ami Dumesnil jusqu’à Tahiti. A la mort de ce dernier, qui espère se réincarner, il revient s'enterrer à Chartres pour finir sa vie dans le calme et la gourmandise. Mais ce grand chien noir, héros du roman, entraîne le chevalier hors de sa routine. Dieudonné en devient obsédé et cherche à l'acquérir à tout prix... flouant ainsi sa maîtresse, ce dont il ne tardera pas à se repentir !

Plus que l'histoire, finalement assez convenue et son scénario romantique bien huilé, c'est la narration de Dumas qui est plaisante. Il ne cesse de se moquer tendrement de son héros et, moins tendrement, des héros parfaits des autres auteurs de son temps. 


"Nous avons résolu, dans un moment d’humour qui nous a sans doute été inspiré par le brouillard que nous avons respiré dernièrement en Angleterre, de faire un roman complètement neuf, c’est-à-dire de le faire à l’envers des autres romans. Voilà pourquoi au lieu de commencer par le commencement, comme on le fait jusqu’à présent, nous le commencerons par la fin, certain que l’exemple sera imité, et que, d’ici quelque temps, on ne commencera plus les romans que par la fin"

vendredi 3 janvier 2020

Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable

C'est un livre de Romain Gary sur l'impuissance et le vieillissement des hommes. Ce n'est pas très joli, c'est souvent pathétique. Jacques, résistant décoré, chef d'entreprise, doit vendre sa boite. Lors d'une rencontre avec Dooley, un américain de son âge qui pourrait reprendre son entreprise, ils parlent de sexualité et des limites de celle-ci à un certain âge. Cela devient une obsession pour Jacques. Surtout qu'il aime Laura, jeune brésilienne, un amour fou, comme si c'était le premier. Il est prêt à tout pour tenir : fantasmes, médecin et médicaments, au point de même vouloir rompre ou en finir. 

"Je ne me souvenais même plus de mes autres amours, peut-être parce que le bonheur est toujours un crime passionnel : il supprime tous les précédents [...] Tout le linge sale des mots d'amour que l'on a si peur de toucher, parce qu'il est couvert de taches suspectes que les mensonges y ont laissées, renouait ses liens avec le premier balbutiement, le premier aveu, le regard des mères et des chiens : les poèmes d'amour étaient là bien avant l'oeuvre des poètes. Il me semblait qu'avant notre rencontre ma vie ne fut qu'une suite d'esquisses, brouillons de femmes, brouillons de vie, brouillons de toi, Laura. Je n'avais connu que des préfaces. Les mimiques d'amour, la multiplicité, la variété, les coucheries, tous ces au revoir et au plaisir, sont une absence de don authentique qui se réfugie dans le pastiche, dans un "à la manière de" de l'amour. C'est parfois fort bien torché et le métier ne se voit pas trop, le savoir-faire dissimule son habileté, il y a de l'aisance, on peut vivre de moins que rien et pour pas cher, même seulement de plaisir, et d'ailleurs on ne peut pas passer sa vie à attendre qu'elle se révèle capable de génie."

Ce n'est pas du tout mon roman préféré de Gary même si le sujet est intéressant, traitant de l'intime, de l'âge et de ses maux. Mais je trouve ça tout de même scandaleux ces histoires de vieux mecs qui sortent avec des petites jeunes femmes parce qu'ils trouvent les femmes de leur âge trop moches ! 

lundi 14 janvier 2019

Le chevalier de Maison-Rouge

Quoi de tel qu'un petit Dumas pour relancer une lectrice essoufflée ? Certes, c'est loin d'être son meilleur, les personnages principaux sont agaçants et l'intrigue pas trop compliquée mais c'est plutôt agréable et reposant. Et pourtant, quelle époque ! Nous sommes en 1793, la Révolution bat son plein et le rasoir national est bien opérationnel. Louis XVI l'a testé et Marie-Antoinette est emprisonnée au Temple. 

Maurice, jeune officier, enfant de la Révolution, raccompagne une jeune femme qui n'a pas sa carte de civisme. Il tombe amoureux de la jolie Geneviève. Et bascule sans le comprendre dans un nid de contre-révolutionnaires qui n'ont qu'un but : faire évader la veuve Capet. Notre roman oscillera donc entre les sentiments des jeunes gens et les tentatives d'évasion de la reine dans l'entourage de Geneviève - composé notamment du fameux chevalier de Maison-Rouge. Nos deux amoureux sont un peu lents, Maurice est aveuglé par la passion, bref, le lecteur a envie de le secouer un peu. Heureusement, il y a le meilleur ami, Lorin qui fait des vers comme il respire. L'ami enjoué, fidèle, qui détend l'atmosphère ! Et il y a justement cette ambiance bizarre de fin du monde, de mort à tous les coins de rue.

Bien entendu, tout cela termine mal, à la fois pour Marie-Antoinette, pour son chevalier servant comme pour nos héros mais c'est une époque sanglante, qui ne pardonne que l'amour tienne lieu de patriotisme.


lundi 10 septembre 2018

La vie mode d'emploi

Je n'avais pas lu Georges Perec depuis la licence, où j'avais étudié (et beaucoup apprécié) W ou le Souvenir d'enfance. C'était un roman à deux voix, mêlant autobiographie et utopie sur une île de sportifs... qui se révèle être une vraie dictature. Avec La Vie mode d'emploi, j'ai redécouvert cet écrivain brillant qui se joue des contraintes qu'il s'impose pour offrir au lecteur un livre foisonnant.


Ce roman sous forme de puzzle retrace la vie d'un immeuble parisien sur 100 ans, de 1875 à 1975. On y rencontre les divers propriétaires et locataires, des concierges aux notables, des caves aux chambres de bonnes. Riche en descriptions, en listes ou en énigmes, ce roman ce veut exhaustif. Aucun meuble ne semble oublié, aucun livre, aucune petite histoire. Cela peut être celle des habitants actuels comme celle des locataires passés, des escrocs aux grandes familles. Mais partout souffle l'aventure, que ce soit chez l'archéologue rêveur, le milliardaire enrichi en Afrique, les peintres ou la cantatrice. 

Composé selon des contraintes mathématiques (il ne faut jamais passer plusieurs fois dans la même pièce de l'immeuble (il y en a 100), chaque pièce a des caractéristiques propres et imposées et des livres et tableaux inspirent les chapitres) savamment dissimulées par l'auteur, ce roman pourrait se lire dans n'importe quel ordre, en suivant les personnages (il y a des index), des temporalités, ou au hasard. Se détache simplement le fil rouge de l'histoire de Bartlebooth, un riche jeune homme qui imagine un projet maîtrisé, esthétique et logique, sans autre but que lui-même à savoir la réalisation d'aquarelles partout dans le monde pendant 10 ans, envoyées à l'artisan Gaspard Winckler qui en fait des puzzles. A son retour, Bartlebooth fait les puzzles, reconstitue l'aquarelle, la renvoie sur les lieux de réalisation pour l'y détruire et récupérer une feuille blanche. 

C'est là le point d'ancrage du roman, l'intrigue qui nous attache. Mais chaque chapitre propose une ouverture sur d'autres intrigues, d'autres aventures, d'autres vies qui entrent en résonance avec l'histoire principale. C'est riche, c'est malin, c'est foisonnant de vie !