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lundi 10 janvier 2022

Asta

Ma découverte de l'œuvre de Jon Kalman Stefansson se poursuit avec ce roman, très différent de ceux qui me l'ont fait découvrir. C'est un peu un puzzle que ce roman, que l'histoire d'Asta, de ses parents, de leur amour. 

Roman qui se joue de la chronologie, il ne livre que des fragments, des morceaux importants pour comprendre qui est Asta. Parmi les moments forts, la chute de son père, qui fait défiler des moments fusionnels avec Helga, sa femme, des moments de rupture, des temps en famille ou au travail. On compte aussi un séjour à la campagne pour les ados à problème. Une dépression terrible à Vienne. Des lettres. Au centre de tout ? L'amour, les relations, la solitude infinie. Ce qui compte dans une vie !

C'est une écriture plus contemporaine et plus incisive que celle que je lui connaissais mais agréable et forte aussi.  

"Elle avait réglé sa montre sur l'horloge de la cathédrale, dont on peut supposer qu'elle affiche l'heure de Dieu et qu'elle est, par conséquent, exacte à la seconde près"

"Ceux qui sont capables de parler de poésie sans s'ébouriffer, desserrer leur cravate ou froisser leur jupe feraient sans doute mieux de parler d'autre chose"

lundi 13 décembre 2021

Le cœur de l'homme

Je clôture avec ce titre ma lecture de la trilogie de Jon Kalman Stefansson. A la fin du tome précédent, j'étais persuadée que l'aventure était finie, qu'il n'y avait que deux tomes, que je n'entendrais plus parler du "gamin". Alors imaginez ma joie de découvrir que j'allais de nouveau suivre ce personnage.

Jens et le gamin, rescapés de la tempête, se réveillent dans la belle demeure d'un médecin. C'est là qu'ils rencontrent Alfheidur, une beauté aux cheveux roux et aux yeux verts qui ne cessera d'habiter l'esprit du gamin. Remis de leur périple, ils regagnent le village. La vie semble reprendre tranquillement sauf que des lettres sont parties, ont été lues, ont changé des vies. Une femme a quitté son mari. Une autre croit qu'on se moque d'elle. Les mots du gamin ont un pouvoir qu'il découvre aux dépens des personnes. Rien n'a changé, tout a changé. Et Geirprudur, la riche et libre veuve qui accueille le gamin va aussi devoir faire des choix, coincée par les hommes riches du village.

Un troisième tome centré sur le village, sur les interactions entre les habitants, sur les différences sociales, donc différent des précédents qui étaient plutôt des quêtes et des voyages. Il est tout aussi riche et plaisant à lire, l'écriture, toujours aussi belle, et la force des mots toujours au centre de l'ouvrage. Un régal !

"Les besoins de l'homme ne sont pas légion : il lui faut aimer, se réjouir, manger, puis un jour il meurt. Pourtant, plus de six mille langues sont parlées à travers le monde, pourquoi doivent-elles être si nombreuses si c'est pour exprimer d'aussi simples désirs ? [...] Une caresse, un frôlement peuvent en dire plus que tous les mots du monde, c'est vrai, mais la caresse s'estompe au fil des ans et alors nous avons a nouveau besoin des mots, ils sont nos armes contre le temps, la mort, l'oubli, le malheur."

"On ne saurait vivre pour la seule raison qu'on n'est pas mort, ce serait une trahison. Il faut vivre comme une étoile qui scintille"


jeudi 11 novembre 2021

La tristesse des anges

C'est la suite du roman Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefansson.
Le gamin est toujours accueilli par Helga dans le bar où il a trouvé refuge et rendu le livre. Il apprend à lire à voix haute, à traduire de l'anglais pour occuper les soirées du capitaine aveugle. Un soir, le postier débarque et termine sa tournée chez eux, collé à son cheval par le givre. Avant de repartir dans une autre direction, remplaçant un collègue malade, Helga lui confie le gamin. Bon marin, il saura rassurer le postier sur les fjords et la mer qu'il doit traverser et qui lui font si peur. C'est donc ce voyage, sous la neige et les tempêtes que nous conte cet opus. 

Voyage dans l'adversité, voyage dans l'intimité de chaque personnage, et découverte de l'accueil inconditionnel des paysans, des gagne-petit, des habitants de cette Islande si rude et dangereuse.

"Mais le sommeil fuit les défunts. Lorsque nous fermons nos yeux fixes, ce sont les souvenirs qui nous sollicitent à sa place. Ils arrivent d'abord isolés, parfois d'une beauté argentée, mais ne tardent pas à se muer en une averse de neige étouffante et sombre"
"L'homme doit toujours longuement souffler sur les braises afin que le feu ne meure pas, quel que soit le nom qu'on lui donne : vie, amour, idéal, il n'y a que l'étincelle du désir qui s'éveille d'elle-même"
"Il ne baigne pas dans la mort bleuté de l'océan, mais dans la clarté bénie du ciel, eh oui, il est parfois difficile de discerner l'un de l'autre. Ainsi en est il : l'espace qui sépare la vie de la mort est si réduit qu'il tient en un seul mot. Voilà pourquoi il convient toujours de s'armer de précautions avec eux - il en est au moins un qui porte en lui la mort"
"La vache beugle, pas très fort mais longuement, où es tu, lumière ? s'enquiert elle encore. Il n'y a pas de place pour beaucoup de pensées dans la tête d'une vache, tout juste quelques phrases répétées inlassablement, mais qui interrogent sur l'essentiel, leur voisinage est en général apaisant, la routine les rend heureuses et le bonheur est ce trésor que les hommes passent leur temps à chercher."
"Parfois on voit la vie que lorsqu'on a le nez dessus, voilà pourquoi nous devrions nous garder de jamais juger les choses de trop loin"
"Il reste allongé pendant que les rêves s'évaporent de sa conscience et s'élèvent vers le ciel où les anges les lisent, espérons qu'ils ne le font qu'afin de se distraire et ne les consignent pas pour lui en donner lecture le jour suprême, ce qui en fâcherait plus d'un"
"Un livre... dont les mots ne restent pas immobiles sur la page, mais qui s'envolent et nous donnent des ailes, même s'il nous manque l'air pour voler"

jeudi 16 septembre 2021

Entre ciel et terre

Ce roman de Jon Kalman Stefansson dormait aussi sur ma PAL. Je savais pourtant qu'il serait beau, qu'il serait marquant, bref, qu'il me fallait l'ouvrir. Mais ça fait partie des romans que j'aime garder pour des circonstances particulières, attendre le bon moment pour l'ouvrir et en profiter. C'est un roman qui nous emmène jusqu'en Islande, près des pécheurs.
Barour et le gamin sont allés au village, ils ont emprunté un livre et reviennent à la cabane de pécheurs. Ils dégustent les vers du Paradis perdu sous le toit bas de la maison. Ils sont un peu moqués par le reste de l'équipage. Le lendemain, Pétur les emmène pêcher. Les hommes rament dans la nuit, à travers une mer dangereuse. Ils s'installent, pêchent. Et Barour découvre qu'il a oublié sa vareuse, tout à la joie de retenir les vers de Milton. Oubli fatal qui le fera périr de froid cette nuit-là. Le gamin, éperdu de douleur de perdre son seul ami, déjà orphelin de toute sa famille, décide d'aller rendre le livre.

Histoire d'amitié et de pêche, c'est un livre infiniment poétique et fort. Il nous plonge dans le monde rugueux des marins, dans la vie des pécheurs de morues. Univers violent et dur, où la camaraderie vient soutenir les forces des hommes. Il nous plonge dans une terre hostile, dont le froid, le vent, la terre peu fertile, pousse les hommes vers une mer traitresse.
Econome de mots, choisissant des images fortes et poétique, c'est un livre qui transporte, qui nous fait vivre une belle aventure humaine. 

"L'enfer, c'est d'être mort et de prendre conscience que vous n'avez pas accordé assez d'attention à la vie à l'époque où vous en aviez la possibilité."
"Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. Pourtant, à eux seuls, ils ne suffissent pas et nous nous égarons sur les landes désolées de la vie si nous n'avons rien d'autre que le bois d'un crayon auquel nous accrocher."
"Les yeux échappent à tout contrôle. Nous devons réfléchir où et quand nous les posons. L'ensemble de notre vie s'écoule à travers eux et ils peuvent aussi bien être des fusils que des notes de musique, un chant d'oiseau qu'un cri de guerre. Ils ont le pouvoir de nous dévoiler, de te sauver, te perdre. J'ai aperçu tes yeux et ma vie a changé. Ses yeux à elle m'effraient. Ses yeux à lui m'aspirent. Regarde-moi un peu, alors tout ira mieux et peut-être pourrai-je dormir. D'antiques histoires, probablement aussi vieilles que le monde, affirment que nul être vivant ne supporte de regarder Dieu dans les yeux car ils abritent la source de vie et le trou noir de la mort"