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mardi 30 juin 2020

The Years

Un mois anglais sans Virginia Woolf, c'est triste, non ? J'ai sorti The Years de ma PAL, dont je repoussais la lecture en VO, de crainte de n'y rien comprendre. J'ai eu des moments de flottement, notamment pour suivre les relations familiales.

Au centre de ce roman, les femmes de la famille Pargiter. Pourtant, c'est avec le colonel Abel Pargiter, époux d'une femme malade, Rose, que s'ouvre le roman. Il rend visite à sa bonne amie avant de retrouver les siens pour le thé. Autour de la table, ses enfants, Eleanor, Milly, Delia, Martin et Rose. Il y a aussi Morris et Edward, loin du tea time familial mais aussi fils du colonel, l'un travaillant et l'autre étudiant. On découvre également d'autres parties de la famille, comme la cousine Kitty ou les cousines Maggie et Sara. Si l'essentiel se déroule dans la bonne bourgeoisie, on découvre aussi d'autres aspects, que ce soit par le regard d'une bonne ou par celui des cousines pauvres. 


Entre 1880 et les années 30, on va les voir évoluer, se marier, voyager, avoir des enfants, mourir. Enfin, on apprendra ces éléments par bribes, au travers d'une pensée ou d'une conversation, sans trame narrative pour expliciter tout cela. En effet, les personnages sont toujours saisis au présent, à un moment précis d'une journée, d'une année. Cette journée est toujours décrite par sa météo et sa saison, ainsi que par des éléments sur les lieux traversés, souvent à Londres. A part les dates qui délimitent les chapitres et quelques événements extérieurs comme les bombardements de Londres, les avions, les voitures, peu d'indications temporelles. Nos personnages évoluent dans un perpétuel présent, qui permet d'explorer le flux de leur pensées et de suivre leurs paroles, comme cela est cher à Virginia Woolf. Dans ce pur présent, difficile de saisir l'épaisseur des vies, tout semble épars, sans passé ni futur. Les objets ont plus de constance et de consistance, que ce soit le portrait de Rose ou la bouilloire qui réapparaissent régulièrement dans le roman. Ils sont concrets, ils fonctionnent tandis que nos héros et héroïnes semblent bien volatiles, eux qui n'arrivent pas à communiquer, qui restent dans le banal alors qu'ils rêvent de plus. Cette incommunicabilité, cette difficulté à se connaitre, c'est aussi ce qui accentue la mélancolie de ce roman. Ce n'est donc pas un roman à intrigue mais une lecture plus contemplative, où les choses apparaissent en creux, au hasard d'une pensée. Il y est question du temps qui passe et de l'impossibilité d'habiter ce temps, accentuée par l'éternel présent. Avec ses mondanités, ses soirées et fêtes un peu vides, qui n'amusent guère les personnages, et les réflexions sur le temps, je n'ai pu m'empêcher de penser régulièrement à Proust pendant ma lecture. 

Une très belle découverte !
"Her past seemed to be rising above her present. And for some reason she wanted to talk about her past; to tell them something about herself that she had never told anybody--something hidden. She paused, gazing at the flowers in the middle of the table without seeing them. There was a blue knot in the yellow glaze she noticed.
"I remember Uncle Abel," said Maggie. "He gave me a necklace; a blue necklace with gold spots."
"He's still alive," said Rose.
They talked, she thought, as if Abercorn Terrace were a scene in a play. They talked as if they were speaking of people who were real, but not real in the way in which she felt herself to be real. It puzzled her; it made her feel that she was two different people at the same time; that she was living at two different times at the same moment. She was a little girl wearing a pink frock; and here she was in this room, now. But there was a great rattle under the windows. A dray went roaring past. The glasses jingled on the table. She started slightly, roused from her thoughts about her childhood, and separated the glasses."
"And suddenly it seemed to Eleanor that it had all happened before. So a girl had come in that night in the restaurant: had stood, vibrating, in the door. She knew exactly what he was going to say. He had said it before, in the restaurant. He is going to say, She is like a ball on the top of a fishmonger's fountain. As she thought it, he said it. Does everything then come over again a little differently? she thought. If so, is there a pattern; a theme, recurring, like music; half remembered, half foreseen? . . . a gigantic pattern, momentarily perceptible? The thought gave her extreme pleasure: that there was a pattern. But who makes it? Who thinks it? Her mind slipped. She could not finish her thought."
"There must be another life, here and now, she repeated. This is too short, too broken. We know nothing, even about ourselves. We're only just beginning, she thought, to understand, here and there. She hollowed her hands in her lap, just as Rose had hollowed hers round her ears. She held her hands hollowed; she felt that she wanted to enclose the present moment; to make it stay; to fill it fuller and fuller, with the past, the present and the future, until it shone, whole, bright, deep with understanding."

 

jeudi 28 juin 2018

Jacob's room

Je continue ma découverte de Virginia Woolf, cette fois-ci en anglais - et c'était à moitié une bonne idée parce que j'ai parfois l'impression d'avoir manqué des subtilités.

Ce roman nous raconte la vie, ou plutôt quelques perceptions par les autres de la vie de Jacob Flanders. L'ouvrage commence durant l'enfance, à travers les yeux de sa mère, puis se poursuit pendant ses études et sa vie de jeune homme à travers ceux de ses amis et amies, de ceux qu'il croise. Discret, peu bavard, amoureux de la Grèce ancienne, remarqué par Florinda, Clara, Sandra... On ne sait finalement rien de Jacob, ou si peu. On ne sait que ce qu'il veut bien montrer. On ne sait que ce qu'en voient les nombreux personnages du roman, qui n'en pénètrent pas forcément l'intimité. On surprend aussi beaucoup de conversations, dont on ne connaitra jamais la fin, d'impressions, de mots dont on hésite à désigner l'un ou l'autre comme auteur. Déjà, les pensées et les faits se mêlent, l'histoire ou la non-histoire se construit de flux et reflux. Bref, Woolf a bien trouvé son style et sa technique narrative avec cet ouvrage, prélude à une Mrs. Dalloway. Il laisse cependant une impression de vacuité, de désespoir, que ne m'avaient jamais laissée ses autres ouvrages.


lundi 3 juillet 2017

A room of one's own

Je terminerai ce mois anglais sur un essai de Virginia Woolf qui patiente depuis bien longtemps dans ma LAL. C'est un ensemble de conférences sur le sujet "women and fiction" ordonnées dans ce petit traité. La thèse de Virginia ? Il faut une pièce pour soi, que l'on peut fermer à clé, et 500 livres de rente pour qu'une femme puisse écrire.

Toutes les conférences ne m'ont pas intéressée de la même façon et j'ai trouvé le propos parfois redondant mais l'ensemble dessine une analyse passionnante de la condition des femmes, de leur accès à l'éducation et à l'écriture. Un essai féministe, qui ne manque pas d'ironie, à l'égard des hommes comme des femmes.

On commence d'abord par suivre une femme dans ses activités quotidiennes, un peu comme on a pu suivre Clarisse Dalloway. On voit ce qui est admis et ce qui ne l'est pas. Dans le cadre d'une université fictive, Oxbridge... Et entrer à la bibliothèque n'en fait pas partie. Qu'à cela ne tienne, il y a celle du British Museum. Où la majorité des livres sont écrits par des hommes. Oui, même -voire surtout - lorsqu'il est question de femmes. 

Mais là où l'on entre dans le vif du sujet, c'est lorsque Virginia touche à Shakespeare et à Jane Austen. Elle imagine le tragique destin d'une sœur de Shakespeare. Et elle s'étonne de la force d'une fille de pasteur, qui a pu écrire au milieu d'un salon bruyant. Le chapitre sur les Bronte, Austen et Eliott est de loin celui qui m'a le plus plu. Je me suis délectée des images que Virginia nous propose et de l'innovation étonnante de ces bas-bleus. Par contre, elle aurait pu faire une petite place à d'autres dames, plus antiques comme Sappho, plus précieuses comme Mme de Scudéry ou Mme de Lafayette.

Enfin, elle s'attaque au cœur même du travail de l'écrivain, proposant que la qualité n'émane pas du sexe de l'auteur mais plutôt de sa capacité à se fondre entre eux. L'écrivain idéal est androgyne. C'est finalement ces derniers chapitres que je retiendrai. Virginia se demande si l'argent n'est pas plus important que le droit de vote pour les femmes. Je vous laisse réagir. Elle invite aussi à dépasser cette opposition entre hommes et femmes pour ne laisser paraitre que l'écrivain. Et invite tout un chacun à prendre un stylo, sans se soucier des résultats, simplement pour le plaisir d'écrire.

Comme souvent quelques extraits de la lecture :
"No force in the world can take from me my five hundred pounds. Food, house and clothing are mine forever. Therefore not merely do effort and labour cease, but also hatred and bitterness. I need not hate any man; he cannot hurt me. I need not flatter any man; he has nothing to give me. So imperceptibly I found myself adopting a new attitude towards the other half of the human race".

"'Women live like Bats or Owls, labour like Beasts, and die like Worms...'" 

"In those words she puts her finger exactly not only upon her own defects as a novelist but upon those of her sex at that time. She knew, no one better, how enormously her genius would have profited if it had not spent itself in solitary visions over distant fields; if experience and intercourse and travel had been granted her. But they were not granted; they were withheld; and we must accept the fact that all those good novels, VILLETTE, EMMA, WUTHERING HEIGHTS, MIDDLEMARCH, were written by women without more experience of life than could enter the house of a respectable clergyman; written too in the common sitting-room of that respectable house and by women so poor that they could not afford to buy more than a few quires of paper at a time upon which to write WUTHERING HEIGHTS or JANE EYRE". 

"Speaking crudely, football and sport are 'important'; the worship of fashion, the buying of clothes 'trivial'. And these values are inevitably transferred from life to fiction. This is an important book, the critic assumes, because it deals with war. This is an insignificant book because it deals with the feelings of women in a drawing-room". 

"It was strange to think that all the great women of fiction were, until Jane Austen's day, not only seen by the other sex, but seen only in relation to the other sex. And how small a part of a woman's life is that; and how little can a man know even of that when he observes it through the black or rosy spectacles which sex puts upon his nose". 

"Thus, when one takes a sentence of Mr B into the mind it falls plump to the ground--dead; but when one takes a sentence of Coleridge into the mind, it explodes and gives birth to all kinds of other ideas, and that is the only sort of writing of which one can say that it has the secret of perpetual life". 

"'The poor poet has not in these days, nor has had for two hundred years, a dog's chance...a poor child in England has little more hope than had the son of an Athenian slave to be emancipated into that intellectual freedom of which great writings are born.' That is it. Intellectual freedom depends upon material things. Poetry depends upon intellectual freedom. And women have always been poor, not for two hundred years merely, but from the beginning of time. Women have had less intellectual freedom than the sons of Athenian slaves. Women, then, have not had a dog's chance of writing poetry. That is why I have laid so much stress on money and a room of one's own".


mercredi 21 juin 2017

Night and day

Ce Virginia Woolf ne restera pas parmi mes favoris. Je l'ai trouvé un peu bavard, et finalement assez loin de ce que j'avais apprécié dans mes précédentes lectures, ce monologue intérieur continu, qui s'intéresse plus à la pensée qu'à l'action. Car si l'on sent bien que Katherine Hilbery est sans cesse en proie à ce flux de pensées, qui l'éloignent bien souvent du monde, le lecteur n'y a pas forcément accès. 

Alors, le plot ? Londres. Katherine Hilbery, petite fille d'un grand écrivain, aide sa mère à écrire la biographie de l'illustre grand-père. Tea-time, lettres à recopier et équations (en cachette) forment son quotidien de jeune femme de bonne famille. Ralph Denham, juriste, tombe amoureux d'elle suite à une tea-party. Mais il n'est pas du même milieu qu'elle. Lui doit travailler et entretenir sa famille. Ah oui, et Mary est amoureuse de Ralph. Et c'est aussi une bonne amie de Katherine. Elle travaille pour être indépendante économiquement, et avoir des droits politiques. Voilà notre suffragette ! Il y a enfin William Rodney, un écrivain en devenir, un peu imbu de lui-même, qui doit épouser Katherine. Mais qui lui préfère sa cousine, Cassandra. Oui, c'est un peu compliqué les sentiments des uns et des autres... Et ce n'est pas forcément ce qui nous intéressera le plus durant la lecture. 

La question des classes sociales, du mariage, du travail des femmes, etc. que nous transmet Virginia est autrement plus intéressante. Et permet aux personnages de s'exprimer librement... Oui, William n'est pas mon idéal masculin avec cette réplique : 
"But for me I suppose you would recommend marriage ?" said Katherine, with her eyes fixed on the moon. "Certainly I should. Not for you only, but for all women. Why, you're nothing at all without it ; you're only half alive ; using only half of your faculties ; you must feel that for yourself".
Déçue par cette construction finalement assez classique, pas encore réellement woolfienne, j'ai retrouvé cette impression de marées, non pas dans les pensées des personnages, mais dans leurs sentiments, qui hésitent, qui disparaissent et réapparaissent, à mesure des jours... et des nuits. C'est fou d'ailleurs la différence des caractères selon que l'action prend place le jour ou la nuit, vous y serez attentifs si vous le lisez ! 

Et déçue aussi par les personnages, qui m'ont assez peu intéressée. Seule Mrs Hilbery, finalement plus fine et plus attentive qu'elle n'y parait, m'a pas mal amusée.

Quelques autres phrases glanées :

"You sound very dull", Katherine remarked, for the second time. "Merely middle class," Denham replied. "You pay your bills, and speak the truth. I don't se why you should despise us"

"It's curious", Mr Hilbery continued, agreeing with his daughter, "how the sight of one's fellow-enthusiasts always chokes one off. They show up the faults of one's cause so much more plainly than one's antagonists. One can be enthusiastic in one's study, but directly one comes into touch with the people who agree with one, all the glamor goes. So I've always found"

mardi 30 août 2016

The new dress

Une nouvelle de Virginia Woolf pour faire un petit tour dans les cercles mondains londoniens. 

Mabel Waring est invitée chez Mrs. Dalloway. Vous n'avez pas oublié Clarisse ? C'est ma grande copine, elle m'a introduite à l'écriture de Virginia. Eh bien ce soir, elle reçoit. Parmi ses invités, notre héroïne, seule, démodée, regrettant amèrement d'avoir voulu faire son originale. Cette idée qui lui paraissait excellente, se faire couper une robe style empire, s'inspirant des gravures du temps de ses parents, lui apparaît maintenant désastreuse. Elle imagine ce que les autres invités racontent sur elle, se croit au centre de l'attention, alors qu'elle se cache au fond de la salle, guettant son reflet pour évaluer le désastre. Elle se sent comme une mouche engluée, aux ailes mouillées...

Bien que courte, cette nouvelle est un condensé de Virginia: on y retrouve son style, les pensées au fil de l'eau, la vie mondaine, le portrait psychologique en quelques phrases... Bref, un petit régal !



mercredi 22 juin 2016

The mark on the wall

Je vous préviens, c'est du Virginia Woolf en raccourci ! Cette très courte nouvelle est un condensé d'introspection et de passage du coq à l'âne. 

A partir d'une tâche sur le mur, notre narratrice imagine tout ce que cela pourrait être, sans jamais se lever pour vérifier ou voir de plus près. Parce qu'en fait, quand on y regarde de plus près, c'est un peu décevant cette tâche qui n'en est pas une. Son esprit divague sur la surface, les apparences des choses, des gens... S'attarde sur les gens qui savent, qui dirigent... Sur les sensations...

Cela ne restera pas mon souvenir le plus éblouissant de Woolf même si l'on retrouve son écriture poétique et son écriture au rythme de la pensée.



lundi 13 juin 2016

La Promenade au phare

C'est avec joie que j'ai replongé dans l'écriture sensible de Virginia Woolf et que je me suis encore laissée prendre à ses voyages dans la tête des personnages rassemblés dans cette maison de vacances, au bord de la mer. On passe deux jours dans cette maison, à dix ans d'intervalle. Quelques personnages reviennent comme en pèlerinage mais la plupart ont disparu.

Nous sommes chez les Ramsay. Mrs. Ramsay est le centre de cette joyeuse famille, toujours un mot doux, patiente, et tellement belle. Elle illumine cette petite bande certainement bien plus que n'importe quel phare. Mr. Ramsay est au contraire un être colérique, un professeur à la recherche de l'excellence, de la compréhension absolue du monde. Au milieu, une ribambelle d'enfants. Et tout autour, des amis : un collègue, une peintre, un poète, un étudiant... Des êtres plus ou moins jeunes, qui se supportent plus ou moins. Et nous passons, de l'un à l'autre, obtenant une vue kaléidoscopique, de ce que sont tous ces êtres, de ce qu'ils pensent les uns des autres. On aperçoit des bribes de passé, des regrets parfois, des hypocrisies... 


Étonnamment (ou non), les tableaux intermédiaires de "Le temps passe" sont de ceux qui m'ont le plus touchée. Cette vision de la maison vidée de ses habitants, où les choses sont livrées à elles-mêmes, où la nature prend possession des lieux, où les ombres règnent est comme une photographie du temps. Il vit dans ces petites choses qui moisissent, ces objets qui s'empoussièrent. Et bien sûr, l'écriture de Virginia reste un de mes grands plaisirs de lectrice. Retrouver la finesse de ses expressions, leur justesse, est un régal !



jeudi 18 juin 2015

Orlando

Ah ce mois anglais... Il me permet de redécouvrir des trésors dans ma PAL. Virginia Woolf, c'est une de mes grandes découvertes récentes. Je pensais que j'allais détester. En fait, je suis fan. Avec Orlando, ça a été la surprise complète. Je ne m'attendais pas du tout à ce personnage traversant les siècles.

Picasso, femme miroirNous rencontrons Orlando, jeune noble, sous le règne d'Elizabeth Ie. Beau et charmant, il s'adonne aux plaisirs de la vie (et à l'écriture, thème qui parcourt tout le roman). Il se découvre des passions : passion pour l'amour avec Sasha, passion pour les lettres, passion pour les beaux objets, pour la nature, pour l'ailleurs... mais jamais cette passion ne semble assouvir ses désirs profonds. Recherchant un sens et un goût pour la vie, Orlando oscille entre joies et désespoirs. Et les siècles passent, et le décor change, et lui-même (ou elle-même) évolue jusqu'au XXe siècle. Bien qu'éternellement jeune, le temps autour de lui ne cesse d'accélérer jusqu'à cette journée de 1928 traversée au grand galop ! Orlando, c'est aussi l'histoire d'un personnage qui, s'endormant homme, se réveille femme ; d'un anglais qui file en Turquie à l'époque des turqueries ; d'un écrivain toujours en recherche du vers idéal, retravaillant le même poème durant quatre siècles.

Ce que j'ai aimé dans ce roman, ce sont à la fois les thèmes abordés par Virginia Woolf (l'écriture et le sens de la vie) et son style. On y retrouve sa quête du mot juste, de l'expression qui traduira le mieux une pensée. Tout est extrêmement sensible dans son écriture. Mais c'est aussi un roman plein de fantaisie avec des changements climatiques exceptionnels, des travers ironiquement épinglés, des situations bouffonnes... L'ensemble est absolument saisissant. Pour moi, c'est un vrai coup de cœur !

Voici quelques extraits pour vous faire sentir l'humour de ce roman. Jouant à la biographe, Virginia Woolf excelle ici dans les analyses et les incises !

"Il s'essayait à décrire - comme tous les jeunes poètes sempiternellement s'y essayent - la nature et, afin de rendre précisément une nuance de vert, il fit preuve de plus d'audace que la majorité et regarda la chose elle-même, qui se trouvait être un buisson de laurier poussant sous sa fenêtre. Après quoi, il fut incapable, comme de juste, d'écrire un mot de plus. Le vert de la nature est une chose, et une autre le vert en littérature. La nature et les lettres semblent entretenir une antipathie naturelle : mettez-les en contact et elles s'entre-déchirent".

"La violence du gel fut telle qu'il s'ensuivit parfois une sorte de pétrification, et l'on attribua communément le surcroît remarquable de rochers dans le Derbyshire, non pas à une éruption (il n'y en eut pas), mais à la solidification de quelques malheureux voyageurs très littéralement mués en pierres. L'Eglise ne put offrir que de maigres secours en l’occurrence : quelques propriétaires firent bien bénir ces reliques, mais, pour la plupart, ils préférèrent les transformer en bornes, y faire gratter leurs moutons ou bien encore, quand la forme s'y prêtait, en faire des abreuvoirs - usages qu'elles ont admirablement remplis dans l'ensemble jusqu'à ce jour".

"Nous sommes donc amenés à conclure que la haute société est comme ces breuvages brûlants que servent à Noël les maîtresses de maison avisées : ils ne sont bons que si l'on sait mélanger et remuer convenablement une douzaine d'ingrédients différents. Enlevez Lord O., Lord A., Lord C. ou Mr M. Séparément, chacun n'est rien ; mais ensemble, ils se combinent pour exhaler la saveur la plus enivrante, le parfum le plus séduisant. C'est pourquoi l'on peut dire tout à la fois que la société est tout et qu'elle n'est rien. La société est la concoction la plus puissante du monde et la société n'a pas la moindre réalité. Seuls les poètes et les romanciers peuvent traiter avec de tels monstres ; leurs livres sont gros jusqu'à l'énormité de tels sujets vaseux ; et nous sommes heureux de les leur laisser, avec la meilleur grâce du monde".

"C'est la vérité qui nous anéantit. La vie est un rêve : nous réveiller, c'est nous assassiner"

"Après vingt minutes, le corps et l'esprit ressemblaient à des lambeaux de papier déchiré s'échappant d'un sac et, en vérité, il y a tellement de points communs entre le fait de sortir de Londres aussi vite que possible au volant de sa voiture, et l'émiettement de l'identité qui précède l'inconscience et peut-être la mort elle-même, que la question de savoir si Orlando pouvait passer pour vivante en cet instant présent, ne saurait trouver de réponse. Pour tout dire, Orlando semblant une personne totalement démembrée, nous aurions cessé de faire d'elle le moindre cas"

"Elle se mit à changer de moi aussi vite qu'elle conduisait - un nouveau surgissait à chaque tournant -, ce qui se produit inexplicablement quand le moi conscient, qui est prédominant et possède le pouvoir de désirer, souhaite n'être rien qu'un moi unique"

 

mercredi 25 juin 2014

Mrs Dalloway

Le mois anglais est pour moi l'occasion de sortir un monument de ma PAL. Un Virginia Woolf. Le truc improbable. Pourquoi ? Parce que quand j'ai su que ce roman s'apparentait à l'Ulysse de Joyce (lecture en cours depuis... six ans ?), notamment dans son exploration d'une vie, pendant une journée, j'ai caché ce roman tout en bas de ma PAL. Et puis, mois anglais aidant, je l'ai fait remonter. Non sans craintes. Et là, je vous spoile direct : j'ai beaucoup aimé ! Merci le mois anglais :)

Une chambre à soi Miroir

Nous suivons effectivement Clarissa Dalloway pendant toute une journée. Ses actions mais surtout ses réflexions. Les pensées qui l'agitent et se construisent par vagues, se précisant, s'éloignant, revenant sur un sujet. Cette journée est plutôt ordinaire. Clarissa donne une soirée chez elle le soir même. Sa journée est consacrée aux préparatifs. Elle sort acheter des fleurs, recoud une robe, reçoit. Bref, la vie normale et futile d'une grande bourgeoise londonienne entre les deux guerres. 
Mais ses pensées ne sont pas exclusivement consacrées à ce qu'elle fait. Elle pense au passé, évoquant (et invoquant presque, d'ailleurs) ses amis et amours d'adolescence. 
Et le roman ne lui est pas entièrement dédié. Ainsi, à mesure que Clarissa croise d'autres individus, le lecteur a accès à leur intériorité. Celle de Peter, rentré récemment des Indes, amoureux éconduit de Clarissa. Celle d'Elizabeth, sa fille. De Richard, son époux. Mais surtout de Septimus, ancien soldat, en pleine dépression depuis son retour du front. Cet homme, qui croise la route de Clarissa et de ses proches toute la journée, est l'image même de la communication impossible, de l'incompréhension des hommes. 

Est-ce le style que j'ai aimé, cette façon de construire les pensées comme des marées montantes ? Est-ce le (ou les) personnage(s) ? Est-ce Londres dans son bourdonnement, avec ses parcs, ses voitures mystérieuses, sa royauté, Big Ben, qui sonne les heures et égraine le temps ? Pourtant, on peut dire qu'il ne se passe rien dans ce roman. Et que Clarissa est une femme froide, calculatrice, intéressée par son confort domestique. Elle ne s'est pas risquée à l'amour. Elle ne s'est pas heurtée aux conventions sociales. Elle ne se soucie pas de politique (Les Arméniens ? Les Albanais ?). Mais elle est finalement lucide sur elle-même et sur ses choix. Ce n'est pas une extrémiste comme Miss Kilman, aigrie et envieuse. Ni une guerrière comme Mrs Bruton. Elle ne part pas en croisade, elle choisit la vie rangée et sage. Et lorsqu'elle fait le bilan, que donne-t-il ? 

Ce roman, c'est finalement bien plus d'une journée, c'est une vie toute entière. C'est la pensée, l'amour, la mort, la politique, la culture, la société... C'est le présent mais surtout le passé (et le futur grâce à Elizabeth). Ce sont les relations entre les hommes, leur éternelle solitude face aux choix. Dur d'assumer sa liberté et sa finitude !

Un véritable coup de cœur pour moi, autant pour le procédé de monologue intérieur, qui permet une grande finesse psychologique, que pour l'écriture (que je n'ai pas trouvé alambiquée) et les personnages. J'ai été littéralement happée par ce roman. C'est un ouvrage d'une grande richesse, un de ces opus qui fait réfléchir le lecteur, qui l'interroge sur ses propres choix, sur sa conception de la littérature aussi... 

Merci à ceux qui m'ont encouragée à lire ce roman avec leurs billets, comme Lilly et Erzie (oui, ça date). 

Mois anglais Woolf